
Titre : « Notre première mondialisation. Leçons d’un échec oublié. »
Auteur(s) : Suzanne Berger.
Année de publication : 2003.
JEL Classification Code / Thème : N. Economic History.
I. Résumé de l’ouvrage
Dans cet ouvrage de référence, Suzanne Berger entreprend une analyse de la première mondialisation à l’œuvre de 1870 à 1914 visant à tirer les leçons de cet « échec oublié ». La mondialisation est-elle irréversible ? Qui sont les gagnants et les perdants de la mondialisation ? Les Etats sont-ils impuissants dans un tel contexte économique ? Quels sont les rapports entre mondialisation et démocratie. Berger donne un certain nombre d’éléments de réponse dans cet ouvrage, tout en soulevant également les différences entre la mondialisation de la fin du XIXème siècle et celle débutée dans les années 1970. A travers cet angle, le livre réalise un important panorama sur cette période de l’histoire économique : « en revenant sur les débats politiques et les luttes économiques et sociales des pays de l’économie nord-atlantique entre 1870 et 1914, cet essai tente d’élargir la gamme des interprétations à partir desquelles nous décrivons notre propre situation. Il entend par là même réfuter l’idée selon laquelle nous serions sur le point d’entrer dans un monde radicalement nouveau (page 5). »
Suzanne Berger est une politologue américaine et professeur de sciences politiques au MIT, elle a également publié les Paysans contre la politique (1975), National Diversity and Global Capitalism (1996) et Made in Monde (2006).
II. Contexte de l’œuvre / Analyse critique
Le livre a été publié en 2003, soit au moment où l’on commence à percevoir réellement les effets de la mondialisation mais également à les questionner. Berger définit la mondialisation comme « une série de mutations dans l’économie internationale qui tendent à créer un seul marché dans l’économie internationale pour les biens et services, le travail et le capital (page 6) ». La période qui s’étend de 1870 à 1914 constitue bien une première mondialisation par la baisse du coût des transports qui favorisa un vaste mouvement de populations hors des économies à bas salaires. De surcroît, cet épisode a marqué le premier épisode de globalisation financière avec d’importants investissements étrangers des pays développés vers le Nouveau Monde et les pays en voie de développement. Comme le souligne Berger, la mondialisation n’est pas une norme dans l’histoire mais bien une exception. A l’exception des flux migratoires, nous avons aujourd’hui rattrapé et dépassé les chiffres de la période 1870-1914, après une parenthèse de soixante-dix ans durant laquelle le commerce, les migrations et les flux de capitaux furent sévèrement réduits et contrôlés.
Partant de ces constats et faits chiffrés, Suzanne Berger va développer plusieurs analyses moins consensuelles sur la mondialisation. Tout d’abord, elle démontre que la mondialisation ne progresse pas d’une façon continue et irréversible, en témoigne la dislocation de 1914. De surcroît, Berger considère la première mondialisation comme une preuve de la persistance des choix politiques nationaux dans un contexte de mondialisation : « l’une des leçons les plus notables à cette enquête, c’est que, loin de museler les choix publics, la première mondialisation a laissé une certaine marge de manœuvre à l’initiative politique (page 11) ». Dans cette perspective, le livre tend également à défendre la thèse que la mondialisation n’est pas incompatible avec l’Etat-providence et regrette le positionnement des partis de gauche contemporains vis-à-vis de l’internationalisme : « les partis de gauche actuels, comme les acteurs du mouvement social, les associations et les syndicats marqués à gauche, font des choix internationaux fondamentalement différents de ceux de leurs prédécesseurs (page 65) ».
Enfin, le livre se termine par une conclusion sceptique quant à une solution européenne à la mondialisation : « nous avons peu évoqué l’Europe, mais on peut douter qu’elle permettrait de relever le défi démocratique et social de la mondialisation, pour au moins deux raisons (page 93) ». Ces deux raisons évoqués par Berger sont 1) le fait que l’Europe constitue davantage un accélérateur qu’un frein à la mondialisation. 2) son « déficit démocratique ». Suzanne Berger considère ainsi les inégalités comme le principal défi de la mondialisation actuelle auquel les Etats peuvent apporter des éléments de réponses : « le principal problème est politique et il dépend de nos propres concitoyens : c’est la difficile réunion, pour soutenir les politiques de redistribution, d’une volonté politique et d’un large accord social (page 95). » Au-delà ses parti-pris, ce livre constitue une véritable référence sur la première mondialisation et l’analyse des mondialisations plus globalement.
III. Synthèse des différentes parties de l’ouvrage
Dans un format classique avec une introduction et une conclusion, l’ouvrage de Suzanne Berger se compose trois grandes parties : 1) Les leçons de la première mondialisation. 2) Causes et conséquences des investissements à l’étranger. 3) Penser global, agir national. Dans le premier chapitre, Berger décrit en grande partie les causes de la première mondialisation, ce chapitre est très riche avec de nombreux thèmes abordés. Elle interroge le lien entre démocratie et capitalisme et développe l’idée que c’est l’Etat-providence qui a permis de stabiliser le capitalisme et rendu cette compatibilité possible. « L’ouverture à l’économie internationale réduit-elle nécessairement l’espace de la démocratie libérale et de la justice sociale dans nos pays ? A la lumière de ces évènements lointains, l’éventail de nos propres possibilités semble plus large et moins contraint, car celles-ci dépendraient davantage de nos projets et de notre détermination (page 31). »
Dans son deuxième chapitre, Suzanne Berger revient sur les causes et les conséquences des investissements à l’étranger. Elle répond à la question : « pourquoi les Français envoyèrent-ils une part si conséquente de leurs économies à l’étranger ? » Lors de la première mondialisation, les Français se distinguent ainsi par l’ampleur de leurs investissements à l’étranger mais aussi les résultats désastreux de ses investissements, faisant l’objet d’importants débats de la société française de l’époque. Berger démontre que ces investissements pouvaient s’expliquer par la quête de rendements avantageux, mais aussi une stratégie de l’Etat de s’en servir comme instrument politique, sans pour autant que l’une de ces deux théories suffisent à expliquer pleinement le phénomène. L’auteur soulève notamment que cette première mondialisation ne s’est pas faite dans un rejet de l’internationalisme par les partis de gauche, la gauche d’alors approuvait généralement l’ouverture des frontières qu’elle voyait comme un puissant ressort de solidarité internationale : « quand l’environnement extérieur évolue, cela créé des opportunités aussitôt exploitées par les groupes contestataires qui cherchent à renforcer leurs positions. Dans les débats politiques de la première mondialisation, cela se traduisit par la réinterprétation et l’extension du vieil universalisme républicain, redéfini dans le sens d’une solidarité par-delà les frontières (page 62). »
Dans son troisième et dernier chapitre, Berger s’interroge sur les leçons que nous pouvons tirer de la première mondialisation pour penser la seconde. La première consiste à penser que la mondialisation n’est pas un phénomène irréversible. La seconde leçon qu’elle tire reprend un élément déjà longuement développé, à savoir l’internationalisme de la gauche lors de la première mondialisation. Berger cherche ainsi à traduire le rejet actuel de la mondialisation, notamment par les partis identifiés à gauche : « l’explication la plus simple de cette attitude défensive et purement réactive face à la mondialisation a été évoquée au début de cet essai : la croyance que la démocratie et la réforme ne peuvent se réaliser qu’à l’abri des frontières nationales (page 74). » Dans cette perspective, l’auteur souligne que c’est dans le contexte de la première mondialisation qu’ont été développés les premiers systèmes d’Etat-providence comme la loi sur les accidents industriels votée par Bismarck en Allemagne en 1884 ou la loi de 1900 sur les journées de dix heures saluée par Jean Jaurès. Enfin la dernière leçon de l’ouvrage concerne les relations internationales et la difficulté de parvenir à une coopération : « la leçon de la Première Guerre mondiale, pour celui qui cherche à comprendre les liens entre la mondialisation, la guerre et la paix, est simple et terrible : les liens internationaux d’un système économique mondial ne génèrent pas spontanément l’ordre et la sécurité (page 86). » Ce livre de Suzanne Berger reste indéniablement une référence sur la première mondialisation et un classique des ouvrages économiques.
