Gabon et Niger : les deux coups d’Etat qui inquiètent l’économie française

Le continent africain, entre conflits armés, crises économiques, élections controversées, et manque de démocratie, est le théâtre de rebondissements politiques sans fin. Ces trois dernières années notamment, il a connu un enchainement de coups d’État dans plusieurs pays du Sahel. Le 18 août 2020, c’est le Mali qui ouvre le bal, son président est renversé par un groupe militaire, qui sera lui-même victime d’un deuxième coup d’État le 24 mai 2021. La Guinée prend le relai le 5 septembre 2021, après l’élection pour un troisième mandat du président, qui avait pris soin de changer la Constitution pour pouvoir se représenter, le Groupement des forces spéciales l’arrêtent et le démettent de ses fonctions. Le Burkina Faso, ensuite, à l’image de la Guinée, connait en moins d’un an deux coups d’État, les deux gouvernements étant jugés incapables de lutter efficacement contre la menace terroriste. Enfin, et c’est ce sur quoi cet article va se concentrer, cette année 2023 compte deux nouveaux coups d’États : au Niger puis au Gabon. La particularité de ces coups d’État est le sentiment anti-français qui les accompagnent et les craintes économiques de la France à cet égard.

Les coups d’État au Niger et au Gabon : recontextualisation

Pour un bref rappel des faits, le Niger, tout d’abord, subit un coup d’État le 26 juillet 2023 du général Abdourahamane Tiani. Il prend la place du président Mohamed Bazoum élu en 2021, et s’autoproclame chef d’État le 28 juillet 2023.

Le Gabon, ensuite, voit Ali Bongo Ondimba sortir vainqueur des élections du 30 août 2023, après déjà 14 ans au pouvoir à la suite de son père. Face à ces résultats très contestés (64,27% des suffrages exprimés contre 30,77 % à Albert Ondo Ossa), le général Brice Oligui Nguema lance le putsch et établit un gouvernement de transition sensé durer deux ans. 

Le coup d’État au Niger semblait bien plus inattendu que celui du Gabon. Certes le Niger se trouve dans une situation de crise économique, avec une population mécontente, c’est l’un des pays les plus pauvres du monde, mais, il n’y avait en soit aucun blocage politique. L’ancien président, Mohamed Bazoum, a été élu démocratiquement avec 55,75% des voix et semblait démontrer une certaine compétence dans la gestion des affaires du pays. Des espérances étant nées concernant une amélioration de la situation économique grâce à des alliances avec des pays occidentaux tels que la France. Une amélioration de la situation économique était espérée grâce aux alliances avec les pays occidentaux tels que la France. En revanche, au Gabon, où la situation économique est pourtant plus prospère, le pays faisait face à un véritable blocage politique avec l’installation de la dynastie Bongo qui détenait le pouvoir à travers des élections dont il est notoire que la régularité est plus que fortement contestée. Le président Ali Bongo n’avait donc plus aucune légitimité auprès de la population.

Des relations avec la France fragilisées

Plusieurs pays se sont prononcés et ont pris position face à ces deux évènements, parmi lesquels notamment la France condamnant fermement les deux coups d’État. Jusqu’alors la puissance française entretenait des relations plutôt fortes avec ces deux pays. Depuis son indépendance en 1960, le Gabon est resté assez proche de la France que ce soit au niveau politique, économique ou militaire. Mais, il est vrai que ses relations ont, durant cette dernière décennie, connu un certain déclin, en particulier au niveau politique. Le Gabon a d’ailleurs rejoint le Commonwealth en 2020 (1) une organisation intergouvernementale dont les pays collaborent sur diverses questions telles que la démocratie, les droits de l’homme et le développement économique, tout en maintenant leur indépendance politique. Du côté du Niger, l’ancien président était un allié fort de la France dans la région du Sahel. Le pays était alors marqué par une présence militaire française importante, surtout depuis la mise en place de l’opération Barkhane dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Mais c’est justement ce dernier point qui est très décrié par les putschistes et la population nigérienne aussi bien que gabonaise. La France est le seul ancien pays colonisateur qui dispose toujours de bases militaires et a conduit environ une cinquantaine d’opérations durant ces dix dernières années. Cette présence militaire permanente a été rendue possible grâce à des accords conclus peu après les indépendances et est un des socles de la politiques française dans ces pays, suscitant aujourd’hui de vives critiques, et plus globalement un rejet de la France. L’opération Barkhane, récemment mise en place, constitue la plus ambitieuse des expéditions militaires françaises sur le continent. Au Niger, le 30 juillet 2023, à la suite des coups d’État, puis le 2 septembre, une marche a eu lieu à Niamey dans le but de dénoncer cette opération militaire et plus largement la présence de l’ancienne puissance coloniale. Ceci a conduit à une crise diplomatique entre les deux pays avec le départ de l’ambassadeur français (2).

 Au-delà de la diplomatie, ce sont aussi les relations économiques avec la France qui sont ainsi mises en danger. Les deux pays africains affirment leur volonté de se tourner vers d’autres partenaires tels que la Russie ou la Chine.

Les conséquences économiques craintes par la France

Malgré les sanctions économiques établies par plusieurs pays tels que la France, les États-Unis ou encore l’Union européenne, le Niger et le Gabon ne sont pas les seuls à s’inquiéter des conséquences économiques des récents évènements. La France, de par ses anciennes alliances avec les deux États, est initialement un partenaire important de ces pays, et en retire des intérêts économiques considérables.

 Ainsi, le Niger représente pour la France le deuxième fournisseur d’uranium au sein de la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) selon la direction générale du Trésor français (3). Bien que l’un des pays les plus pauvres du monde, le Niger est très riche en uranium. Or, l’uranium est une ressource précieuse pour le fonctionnement des centrales nucléaires françaises, EDF devant alimenter 56 réacteurs français. Cependant, les conséquences d’un accès plus restreint à l’uranium nigérien sont à nuancer. Les effets d’un tel scénario ne seront pas immédiats sur l’industrie du nucléaire car les centrales fonctionnent pendant trois ans avec le même combustible et la France compte actuellement « deux années de stocks d’uranium et de ses produits transformés, l’uranium enrichi, l’uranium converti et l’uranium assemblé », selon Teva Meyer, chercheur spécialiste du nucléaire civil (4). Ainsi sur le court et moyen terme, la France n’a pas à s’inquiéter de l’avenir de ses centrales nucléaires. Quant au long terme, la France peut compter sur ses autres fournisseurs, même si le Niger est le pays qui fournit le plus d’uranium à la France (5). En effet, les coûts de production ayant augmenté au Niger (6), la France avait déjà entrepris des alliances dans d’autres pays notamment en Asie. Cependant, il y a bien un acteur qui se trouve dans une situation plus délicate, il s’agit du géant Véolia, via sa filiale la Société d’exploitation des Eaux du Niger (SEEN),chi et du groupe ORANO. Ce dernier notamment qui exploite des mines d’uranium dans le pays, risque de subir des pertes financières considérables si les relations diplomatiques entre la France et le Niger continuent de se dégrader. D’autant plus que la Chine est présente et peut faire concurrence au groupe Ornano en devenant le nouveau partenaire du Niger sur le marché de l’uranium, elle est en effet le deuxième investisseur étranger au Niger après la France (7). Cependant, Ornano semble rebondir face à la situation, et a ainsi signé le 12 octobre 2023 un protocole d’accord pour le développement et la mise en exploitation d’un projet de mine d’uranium en Mongolie (8).

Au Gabon, les craintes de la France au niveau économique semblent plus sérieuses. D’abord, la France y compte un bien plus grand nombre d’entreprises françaises, environ 80 d’après Étienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), ce qui représente un chiffre d’affaires cumulé de près de 3 milliards d’euros (9). Aussi, le pays est très riche en ressources naturelles, ressources exploitées par plusieurs de ces entreprises.

Ainsi, lors du coup d’État le groupe minier Eramet a été contraint de mettre à l’arrêt ses activités pour des questions sécuritaires. Il compte environ 8000 employés à travers ces deux filiales que sont Comilog et Setrag. Comilog étant spécialisé dans l’extraction du manganèse permettant la production d’acier et de batteries est donc très dépendante des ressources du Gabon. A noter qu’il est le deuxième producteur mondial de manganèses et que Comilog extrait 90 % du manganèse du pays. La filiale est concurrencée par le groupe chinois CICMHZ (Compagnie industrielle des mines de Hangzhou), et le groupe indien Coalsale Group, qui, à la suite des évènements, peuvent être une réelle menace pour Comilog si le Gabon décide de se tourner vers eux en tant que partenaires principaux (10).

Au-delà du manganèse, la question du pétrole est également soulevée. En effet, le Gabon est le quatrième producteur de pétrole d’Afrique sub-saharienne et le géant français TotalEnergie y est implanté depuis huit décennies via deux filiales.

Conclusion

Aussi bien au Niger qu’au Gabon, bien que le contexte de chacun des coups d’États soit différent, un sentiment anti-français s’est développé en raison de la présence militaire française considérable, alimentant le désir de rompre avec l’ancien État colonial français. Ces nations représentent des liens stratégiques cruciaux dans la région du Sahel pour la France. Elle y détient de nombreux intérêts économiques, notamment au Gabon, à travers ses entreprises et les matières premières importées. Par conséquent, la France pourrait se retrouver dans une situation difficile. De surcroît, la Russie et la Chine semblent se positionner comme de nouveaux partenaires potentiels.

Myriam Mekki

Références :

(1)       http://www.ifri.org. (n.d.). Le putsch au Gabon , coup dur pour la France ? ‘Les relations sont anciennes , mais délitées’. [online] Available at: https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/putsch-gabon-coup-dur-france-relations-anciennes-delitees.

(2)       La France contrainte de se retirer du Niger. (2023). Le Monde.fr. [online] 25 Sep. Available at: https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/25/la-france-contrainte-de-se-retirer-du-niger_6190866_3212.html.

(3)       La Tribune. (2023). Niger: quelles répercussions économiques suite au coup d’État militaire ? [online] Available at: https://afrique.latribune.fr/economie/conjoncture/2023-08-01/niger-quelles-repercussions-economiques-suite-au-coup-d-etat-militaire-971661.html

(4)       http://www.connaissancedesenergies.org. (2023). Nucléaire: après le coup d’Etat, la dépendance à l’uranium du Niger en question | Connaissances des énergies. [online] Available at: https://www.connaissancedesenergies.org/afp/nucleaire-apres-le-coup-detat-la-dependance-luranium-du-niger-en-question-230731-1

(5)       Statista. (n.d.). Quantité d’uranium importé en France par pays. [online] Available at: https://fr.statista.com/statistiques/1403108/quantite-uranium-naturel-importe-en-france-par-pays/

(6)       Les Echos. (2023). Putsch au Niger : pourquoi le marché de l’uranium reste de marbre. [online] Available at: https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/putsch-au-niger-pourquoi-le-marche-de-luranium-reste-de-marbre-1967351

(7)       ENCADRE-La présence économique chinoise au Niger. (2023). Reuters. [online] 31 Jul. Available at: https://www.reuters.com/article/niger-securit-chine-idFRL8N39H2UH/

(8)       orano.group. (99AD). Orano signe un protocole d-accord pour le développement et la mise en exploitation d-un projet de mine d-uranium en Mongolie. [online] Available at: https://www.orano.group/fr/actus/actualites-du-groupe/2023/octobre/orano-signe-un-protocole-d-accord-pour-le-developpement-et-la-mise-en-exploitation-d-un-projet-de-mine-d-uranium-en-mongolie

(9)       BFM BUSINESS. (n.d.). Bolloré, Colas, Eramet, Total… de nombreuses entreprises françaises sont présentes au Gabon. [online] Available at: https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/bollore-colas-eiffage-total-de-nombreuses-entreprises-francaises-sont-presentes-au-gabon_AV-202308300375.html

(10)       BFM BUSINESS. (n.d.). Bolloré, Colas, Eramet, Total… de nombreuses entreprises françaises sont présentes au Gabon. [online] Available at: https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/bollore-colas-eiffage-total-de-nombreuses-entreprises-francaises-sont-presentes-au-gabon_AV-202308300375.html

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