Fiche de lecture : « Trois leçons sur la société post-industrielle. »

Titre : « Trois leçons sur la société post-industrielle. »

Auteur(s) : Daniel Cohen

Année de publication : 2006.

JEL Classification Code / Thème : N. Economic History

I. Résumé de l’ouvrage

Dans ce livre, Daniel Cohen développe une analyse sur l’avènement de la société post-industrielle à travers trois grandes leçons : l’ère des ruptures (leçon 1), la nouvelle économie-monde (leçon 2), existe-t-il un modèle social européen ? (leçon 3). Ce texte reprend 3 conférences données au Collège de France, les 5, 6 et 7 octobre 2005 dans le cadre du cycle « Grand Angle. » Alors que le XXème siècle s’est construit autour de la grande firme industrielle, « le capitalisme du XXIème siècle organise scientifiquement la destruction de cette société industrielle. » Cette nouvelle société est une société de services et de l’information. Dans cette « nouvelle économie », c’est la première unité du bien fabriqué qui est onéreuse : un logiciel est cher à concevoir mais peu cher à fabriquer. A travers ce livre et ces conférences, Daniel Cohen dépeint ainsi les grands principes de cette société post-industrielle.

II. Contexte de l’œuvre / Analyse critique

Cet ouvrage de Daniel Cohen est publié quelques années après la bulle Internet (2000), au moment où l’on commence à avoir du recul sur cette nouvelle forme de capitalisme et cette société post-industrielle. Cohen restitue dans ses différentes conférences des enseignements de manière synthétique et agréable à lire.

Pour Cohen, cette nouvelle société est d’abord une société de services, néanmoins « l’économie tertiaire n’est nullement débarrassée du monde des objets. Ils coûtent certes moins à fabriquer, la part de la production se réduit en valeur, mais ils continuent à croître en volume, aux mêmes rythmes qu’avant. » En adéquation avec Eric Maurin, il ajoute également que pour les employés, « le client devient une figure centrale de leur existence et passe, à leurs yeux, pour le véritable donneur d’ordres, davantage parfois que le patron lui-même ». Cette première vision doit être complétée par la notion de « société de l’information » , au sein de laquelle c’est la première unité du bien fabriqué qui est onéreuse, tel que nous l’avons mentionné avec le logiciel. Ce nouveau modèle est aussi à mettre en lien avec la mondialisation des firmes : « à l’heure de la mondialisation, les firmes cherchent à se recentrer sur les activités à rayon planétaire, celles qui touchent le plus grand nombre de clients. Les activités immatérielles, où le coût est dans la première unité, la promotion de la marque par exemple, sont beaucoup plus intéressantes que la stricte fabrication des biens qui en découlent. »

Comme toujours, l’analyse de Cohen est interdisciplinaire et mobilise l’ensemble des sciences sociales. Il soulève ainsi qu’il est plus complexe de « faire société » dans cette économie post-industrielle : « s’il était facile de parler de société industrielle, il est beaucoup plus difficile de parler de société post-industrielle. Car, si tout le monde voit aujourd’hui les mêmes films, chacun le fait en étant installé dans des fauteuils de plus en plus différents. Jamais la conscience de vivre dans le même monde n’a été aussi vive. Jamais les conditions sociales d’existence n’ont été aussi distinctes. » Pour lui, cela marque la fin de la solidarité inhérente à la société industrielle et laisse ouverte la manière de concevoir la société post-industrielle. Parmi les 3 grandes leçons de l’ouvrage, il est clair que celle sur « l’ère des ruptures » est la plus intéressante et la plus directement reliée au sujet. La seconde sur l’économie-monde n’est pas une véritable nouveauté dans la littérature économique, quant à celle sur l’Europe, elle s’éloigne quelque peu du sujet central du livre bien qu’elle reste intéressante. Nous allons revenir plus en détail sur ces trois leçons dans la section ci-dessous dédiée à la synthèse des différentes parties de l’ouvrage.

III. Synthèse des différentes parties de l’ouvrage

La première leçon est dédiée à « l’ère des ruptures » et Cohen en identifie cinq majeures : 1) la troisième révolution industrielle. 2) la nouvelle façon de concevoir le travail humain. 3) la révolution culturelle liée à l’essor de l’individualisme et la fin du « holisme industriel ». 4) les marchés financiers avec l’essor de leur dynamisme depuis les années 1980. 5) la mondialisation que l’on peut identifier à l’arrivée de la Chine et de l’Inde dans le capitalisme mondial. Selon Philippe Askenazy, les Nouvelles formes d’organisation du travail (NFOT) doivent faire preuve d’adaptabilité, de polyvalence des salariés et doivent déléguer les responsabilités aux niveaux hiérarchiques inférieurs (mis en œuvre par le toyotisme dans les années 60). Cela explique la forte augmentation des inégalités que nous avons connues pendant les années 1980 : le travail non qualifié devient surabondant et sa rémunération doit baisser, la condition ouvrière connait aussi une absence d’élévation sociale. Ces NFOT se juxtaposent aux contradictions du fordisme et aux autres ruptures, telles que l’essor des marchés financiers et la mondialisation pour contribuer à former la société post-industrielle.

La seconde leçon est consacrée à l’économie-monde et à la mondialisation. Dans la lignée de Suzanne Berger, Cohen établit un parallélisme avec la première mondialisation : « le parallélisme entre la mondialisation du XIXème siècle et la nôtre est particulièrement frappant. » Pour comprendre la nouvelle division internationale du travail, Cohen donne deux exemples avec la poupée Barbie et les chaussures Nike : « la célèbre poupée Barbie donne une excellente illustration de la nature du commerce mondial aujourd’hui. La matière première – le plastique et les cheveux – vient de Taïwan et du Japon. L’assemblage est fait aux Philippines avant de se déplacer vers des zones de salaires moindres, l’Indonésie ou la Chine. » Pour Cohen, la difficulté démographique sera majeure dans les années à venir, on prévoit environ une population mondiale d’environ 9 milliards d’habitants pour 2050. Il y aura probablement deux fois plus de riches et deux fois plus de pauvres. Une difficulté à laquelle s’ajoute le contexte écologique, le niveau de vie occidental n’est pas généralisable au monde.

La troisième et dernière leçon tourne autour de cette problématique récurrente en économie : « existe-t-il un modèle social européen ? ». Pourquoi l’Europe a-t-elle peur de la mondialisation puisque l’Europe des 15 représente à elle seule près de 40 % du commerce mondial ? Daniel Cohen identifie deux facteurs principaux à cette crainte, d’une part parce que 2/3 de ses exportations et de ses importations sont à destination ou en provenance d’elle-même. Ce commerce de voisinage prépare très mal à la mondialisation. D’autre part parce qu’elle ne commercialise pas des produits à forte technologie ; même s’ils sont chers, ils ne sont pas innovants (automobile, luxe, textile, agroalimentaire). L’Europe n’est pas en avance non plus en ce qui concerne les technologies de l’information et de la communication. Dans cette perspective, Cohen se fait le défenseur d’une université européenne. Citant la typologie de Gosta Esping-Andersen (trois modèles d’Etat-providence en Europe : libéral/corporatiste/social-démocrate), il souligne les divergences entre les modèles sociaux européens avec la particularité du modèle français. Ce système français est marqué par une contradiction fondamentale entre, d’une part, des valeurs cléricales et aristocratiques et, d’autre part, des valeurs démocratiques. Cette contradiction est bien illustrée par la dichotomie entre les Grandes Écoles et l’Université, par exemple. La France est ainsi marquée par l’endogamie, qui freine la cohésion sociale et favorise des phénomènes comme la crise des banlieues.

IV. Pour aller plus loin

Joel Mokyr (2002), The Gift of Athena, Princeton, Princeton University Press.

Gosta Esping-Andersen (2007), Les trois mondes de l’Etat-providence. Essai sur le capitalisme moderne.

« Il y a une sorte de coup de blues existentiel des français », l’entretien avec Daniel Cohen (JECOs), available at : <https://easynomics.fr/2021/11/09/il-y-a-une-sorte-de-coup-de-blues-existentiel-des-francais-lentretien-avec-daniel-cohen-jecos/>