Le Prix Nobel d’économie 2023 est attribué à… Mme Claudia Goldin !

Créé en 1968, le Prix de la Banque de Suède en hommage d’Alfred Nobel récompense les travaux de grands économistes. Ce lundi 9 octobre, son édition 2023 a été attribuée à Madame Claudia Goldin, récompensée pour ses travaux sur l’évolution de la place des femmes sur le marché de l’emploi aux Etats-Unis. Elle devient la première femme à être lauréate unique, puisque Elinor Ostrom (en 2009) et Esther Duflo (en 2019) avaient été colauréates. Retour sur son parcours et ses travaux.

Aux origines : une étudiante atypique et un profil transversal

Née en 1946 à New-York, Claudia Goldin avait d’abord l’intention de devenir biologiste. Ce n’est qu’en deuxième année de licence qu’elle change de parcours pour poursuivre en sciences sociales et économie – inspirée par le cours de Alfred E. Kahn, professeur en économie à Cornell et adepte de la dérégulation.

Dans ses récits, Goldin admet aussi qu’elle n’avait pas de projet professionnel clair au moment de ses études. C’est en suivant ses intérêts et passions – soutenue par son entourage – qu’elle a construit son parcours d’économiste. 

En 1967, elle intègre l’Université de Chicago pour faire son master puis sa thèse en Économie, car elle voulait continuer à étudier les questions de dérégulation et l’économie industrielle. Cependant, elle admet avoir choisi Chicago presque par hasard. Le Chicago des années 60-70 présentait un terreau académique particulièrement riche, car il réunissait pléthore d’économistes proéminents : Friedman, Stigler, Becker, Coase etc. 

A Chicago, Claudia Goldin a été confrontée à un véritable défi – ayant changé de parcours et suivi des cours très divers en licence, il lui manquait des connaissances et de maîtrise des approches purement économiques. Elle s’est impliquée afin de combler les lacunes. Mais une fois qu’elle maîtrisait les grands outils économiques, Goldin a trouvé que les intérêts des économistes de l’époque étaient trop restrictifs. Elle est donc revenue aux domaines plus vastes que ce sont ceux de l’histoire, ou des sciences politiques et sociales.

Dans sa thèse, menée sous la direction de Robert W. Fogel (Prix Nobel en 1993, lui-même doctorant d’un autre prix Nobel – Simon Kuznets), elle s’intéressait au rôle de l’esclavage dans le développement urbain et industriel du Sud des Etats-Unis.

Depuis l’obtention de son doctorat, Claudia Goldin a surtout travaillé sur les enjeux des inégalités femmes-hommes dans une perspective historique et dans des domaines divers (e. g. revenus, accès à l’éducation, l’immigration). Elle a assuré de nombreuses fonctions : pendant 28 ans elle dirigeait le Programme de développement de l’économie américaine du NBER; elle était présidente de la prestigieuse American Economic Association et a assuré de nombreuses autres fonctions dans l’enseignement et la recherche.

Aujourd’hui elle est professeure d’économie à l’Université de Harvard.

Une analyse historique de la situation des femmes sur le marché du travail

La nouvelle lauréate du Prix Nobel a fouillé dans plus de 200 ans d’archives sur le marché du travail américain, lui permettant de montrer comment et pourquoi les différences de genre en termes de rémunération et de taux d’emploi ont évolué au cours du temps. Elle a ainsi montré que le taux de participation des femmes a connu une évolution en forme de U, et pas une évolution continue. Le taux de participation des femmes mariées a diminué lors de la transition d’une économie agricole vers une économie industrielle, avant d’augmenter à nouveau lors de la transition vers une économie tertiaire. Goldin explique cette tendance par les changements structurels et l’évolution des normes sociales concernant le rôle des femmes au sein du foyer, ainsi que par le progrès technique, et par la croissance du secteur tertiaire et l’augmentation du niveau d’éducation qui ont augmenté la demande de travail pour les femmes. A l’inverse, la stigmatisation sociale, la législation et les barrières institutionnelles ont eu tendance à freiner cette tendance.

Une pionnière dans l’étude des discriminations femmes/hommes sur le marché du travail

Claudia Goldin a étudié l’évolution et l’impact de l’éducation sur le travail des femmes durant le XXème siècle. En particulier, elle montre que la carrière des femmes dépend de la décision de faire des études, qui est prise jeune et qui dépend des attentes de ce que peuvent apporter les études sur le plan professionnel. Si ces attentes sont formées par l’expérience des générations précédentes – qui ont rarement fait des études- le développement sera lent.

Elle a également démontré l’importance de la pilule contraceptive sur le travail des femmes : en permettant de mieux contrôler les naissances et les mariages, la pilule permet aux femmes de mieux contrôler leurs choix de carrière et mieux planifier leur propre futur – professionnelle comme familiale. 

Historiquement, une grande partie de l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes pouvait s’expliquer par des différences en matière d’éducation et de choix professionnels. Cependant, Goldin a montré que l’essentiel de cette différence de revenus se situe aujourd’hui entre les hommes et les femmes exerçant la même profession.

Elle a également montré que les discriminations salariales (qui ne peuvent pas être expliquées par des écarts de productivité), ont augmenté significativement suite à la montée du secteur tertiaire : cela s’explique par le fait que les femmes travaillaient autrefois dans des secteurs où la rémunération était à la pièce. Les discriminations ont explosé lorsque le salaire est devenu mensuel, et donc plus basé sur la productivité. 

Enfin, Goldin a montré que les employeurs ont eu de plus en plus tendance à privilégier les carrières longues et ininterrompues. Elle montre dans un article de 2010 – avec M. Bertrand et L. Katz – que les différences initiales de rémunérations entre hommes et femmes sont faibles, mais que cela change dès le premier enfant : la rémunération s’écroule et augmente plus lentement que celle des hommes. Goldin explique cet effet « maternité » par la structure contemporaine des marchés du travail qui attendent des employés d’être constamment disponibles et flexibles face à la demande des employeurs.

Tous ses travaux ont permis de mieux comprendre les tenants et les aboutissants du marché du travail féminin, et ont permis de révéler les causes du changement, ainsi que les principales sources du fossé qui subsiste entre les hommes et les femmes. Plus que cela, pour Philippe Askenazy : « Claudia Goldin, aujourd’hui âgée de 77 ans, est enfin récompensée comme pionnière : elle a été la première économiste à se saisir de la femme comme objet économique ». La première économiste aussi, à remporter ce fameux Nobel en soli.

L’équipe d’Easynomics

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