
Pierre angulaire du programme d’Emmanuel Macron pour la culture lors de la campagne présidentielle de 2017, le pass culture, défini comme “une nouvelle forme de service public”, est testé pour la première fois en février 2019 auprès de 10000 jeunes puis étendu à 150000 jeunes quatre mois plus tard. Le principe est simple : mettre 500 euros à disposition pour tous les Français de 18 ans afin de leur permettre de s’ouvrir à de nouvelles formes d’art, de briser les barrières sociales, et surtout, grande nouveauté, de s’adapter aux pratiques culturelles de la jeunesse : à eux de faire leur choix, de déterminer ce que constitue selon eux la culture. C’est là tout un renversement d’une logique établie depuis de nombreuses années : afin de permettre l’ouverture culturelle des jeunes Français, ce projet ne vise pas à favoriser l’offre de la culture, mais sa demande. Ainsi, l’Etat opère une politique de la demande, qui vient soutenir indirectement le secteur des industries culturelles.
La politique de la demande : l’État actif dans la recherche du progrès économique, social … et culturel ?
La politique de la demande est une politique économique menée par un Etat dans le but d’augmenter … la demande via la baisse des taux d’intérêt, l’augmentation des investissements publics ainsi que l’augmentation de la consommation privée. Le principe est simple : si la demande est forte, alors les entreprises vendront leurs produits, investiront et embaucheront des salariés. In fine, tout le monde est censé s’enrichir. Toute la réussite de cette politique repose sur l’efficacité de l’effet multiplicateur théorisé par John Maynard Keynes: une variation de la demande publique selon lui se traduirait par une variation de la production k fois supérieure. Pour plus de précisions sur ce point, la rédaction vous invite à consulter cet article de nos confrères de Footonomics.
Dès lors un parallèle peut être dressé avec le projet du Pass Culture. Si celui-ci a d’abord une mission de démocratisation culturelle, les 500e alloués par l’Etat-Providence à chaque jeune de 18 ans nourrissent la demande des produits des industries culturelles : livres, cinéma, jeux vidéos …
Et ceci n’est pas anodin : après plusieurs dizaines d’années de politiques culturelles de l’offre, initiées par le ministère d’André Malraux dans les années 1960, développant les capacités et les moyens du secteur de la culture, le Pass Culture se veut être un dispositif incitatif laissant une part importante d’autonomie aux jeunes. En bref, l’Etat ne rend pas la culture plus compétitive, mais donne les moyens aux jeunes d’y accéder. Tout un changement de perspective qui n’est pas sans conséquences.
De l’efficacité du pass culture, ou les limites de la politique de la demande
Le pass Culture est cependant très critiqué, tant son application pratique comporte des failles. Tout d’abord, le financement de ce projet est extrêmement coûteux : ce sont pas moins de 400 millions d’euros qui seraient nécessaires tous les ans afin de mettre en place le Pass à l’échelle nationale. C’est là une critique habituelle des pourfendeurs des politiques d’inspiration keynésienne : les politiques de demande, de relance, induisent une hausse des dépenses (ou une baisse des recette) qui peuvent conduire à des déficits financés par l’emprunt et donc à une hausse de la dette publique. En prolongeant l’analyse, à l’aide des travaux de Robert Barro, on peut même supposer que les consommateurs, anticipant une hausse future des impôts pour financer cette politique de demande, auraient tendance à accumuler une épargne de précaution qui limiterait l’effet de relance.

Mais ce n’est pas tout. Autre critique adressée au Pass Culture : comment être sûr que les jeunes Français ne dépenseront pas l’argent du Pass dans un abonnement Netflix ou Spotify par exemple, favorisant donc les industries culturelles étrangères et non les industries culturelles françaises ? En effet, dans une économie ouverte et dans le cas d’une politique de la demande, rien ne peut empêcher les consommateurs de choisir des produits de l’étranger et rien ne peut garantir que les capacités de production locales s’ajustent assez rapidement à de fortes variations de la demande. Dans le cas du Pass Culture, des réponses ont été apportées : il ne permettrait pas par exemple, après plusieurs mois de débats, d’acquérir un produit ou un service issu des GAFAs. Mais comment prétendre dès lors que ce projet s’adapte aux aspirations des jeunes Français et qu’il ne hiérarchise pas les différentes pratiques culturelles, s’il bloque l’accès à certains circuits numériques du divertissement, parmi les plus appréciés des jeunes ?
Enfin, comment être sûr que le Pass n’attirera pas un public qui profite déjà de la culture.et qui en profiterait par conséquent simplement à moindre frais ? Sur ce point, les néoclassiques insistent que lors d’une politique de relance, l’investissement public ne ferait que se substituer à l’investissement privé, sans modifier le niveau global de la demande. C’est ce qu’on appelle l’effet d’éviction. En effet, rien ne garantit que le budget culture des jeunes de 18 ans avec le Pass n’augmente par rapport à leur budget culture sans le Pass. En d’autres termes, l’Etat financerait le budget culture resté au même niveau qu’avant de chacun des jeunes de 18 ans…
Conclusion
« Avoir accès au pass Culture sera un droit du citoyen, développer sa curiosité et son ouverture intellectuelle en sera un devoir« , affirme Franck Riester, ministre de la Culture, preuve que l’objectif principal du Pass n’est pas économique mais bien social : l’ouverture culturelle constituant un “droit du citoyen”, au même titre que la protection sociale ou le droit de vote ! En ce sens, les failles du projet présentées humblement dans cet article peuvent paraître acceptables et maîtrisées si l’objectif de démocratisation affiché par le gouvernement est rempli.
Or, celui-ci est loin d’être atteint durant la phase d’expérimentation : par exemple, selon une enquête de Mediapart, 9 mois après l’expérimentation, les jeunes disposant du Pass auraient dépensé en moyenne 100 euros du pass, sur les 500 disponibles, preuve s’il en est que des efforts peuvent encore être réalisés. Le Pass Culture constitue dans tous les cas un enjeu fort pour la politique culturelle du gouvernement sous la présidence d’Emmanuel Macron, critiqué pour son manque de propositions pour ce secteur.
Bastien Antoine