Les ruptures économiques de la présidence Trump

Depuis son élection en 2016, les frasques à répétition de Donald Trump n’ont cessé de faire la une des médias de toute la planète. Imprévisible, l’ex-homme d’affaire se distingue également par sa propension à rompre avec l’héritage de ses prédécesseurs. Ces ruptures sont multiples en ce qui concerne l’économie. Alors que depuis l’élection de Ronald Reagan les politiques économiques des présidents américains s’inscrivaient dans une même continuité, Donald Trump s’est distingué en adoptant des mesures plus singulières. Afin de comprendre et de décrypter la « Trumpeconomics », il est indispensable de tout d’abord s’attarder sur le courant de pensée qui a marqué l’histoire économique récente des Etats-Unis : le néo-libéralisme.

Le néo-libéralisme en bref

Le néo-libéralisme est un courant de pensée économique né dans la première moitié du XXè siècle. Ses deux principales figures sont l’autrichien Friedrich Hayek et l’américain Milton Friedman. Dans son ouvrage Capitalisme et liberté, paru en 1962, ce dernier soutient que la liberté économique est garante de la liberté démocratique et qu’il est nécessaire d’effacer les entraves au capitalisme, notamment en réduisant drastiquement les champs d’action de l’Etat. Friedman a influencé de nombreux économistes et fondé « l’Ecole de Chicago », l’un des courants dominants du néo-libéralisme.  

Les économistes néo-libéraux défendent l’idée d’un marché efficient et autorégulateur permettant la juste allocation des ressources. L’interventionnisme économique de l’Etat, notamment par le biais de subventions ou de dépenses sociales, est quant à lui jugé néfaste car troublant l’ordre naturel du marché. Par conséquent, le néo-libéralisme prône la dérégulation et la libre-concurrence, ainsi que la réduction du périmètre de l’Etat. De manière plus concrète, la pensée néo-libérale se matérialise par la suppression de barrières douanières au profit d’accords de libre-échange, la privatisation d’entreprises, la réduction des dépenses publiques ou encore la flexibilisation du marché du travail.

Selon cette pensée, la seule intervention nécessaire de l’Etat dans le champ économique consiste à juguler l’inflation. Pour parvenir à cet objectif, les banques centrales (la FED aux Etats-Unis) doivent empêcher que la quantité de monnaie en circulation soit supérieure à la production, principale cause de l’augmentation des prix, en maintenant des taux d’intérêt élevés.

L’élection de Ronald Reagan et le tournant néo-libéral des Etats-Unis

En 1980, l’élection du candidat du Parti Républicain Ronald Reagan marqua l’avènement de la pensée néo-libérale aux Etats-Unis. Dès sa prise de pouvoir, l’ex-acteur mit en place un « cocktail » de mesures visant à rogner les prérogatives étatiques et à libéraliser l’économie : coupes dans les dépenses fédérales, réduction des impôts sur le revenu et sur les plus-values ou encore dérégulation des marchés boursiers. 

Le néo-libéralisme impulsé par Reagan a résisté à l’alternance et aux changements de gouvernements pour se maintenir en tant que paradigme économique dominant aux Etats-Unis. En 1992, l’élection du Démocrate Bill Clinton n’a ainsi aucunement marqué une rupture avec les politiques économiques des présidents républicains précédents, sinon un prolongement. L’une des plus marquantes illustrations est l’abrogation du « Glass-Steagal Act » en 1999, quelques mois avant la fin de la présidence Clinton. Votée en 1933 dans le cadre du « New Deal », cette loi régulait le secteur bancaire, notamment en distinguant les banques d’affaires et de dépôt.  

Il n’y a guère que la présidence du démocrate Barack Obama (2009-2017) qui a marqué un certain écart avec le néo-libéralisme. En effet, il est parvenu à instaurer une couverture santé universelle avec l’adoption de l’ « Obamacare » en 2010. Dans une Amérique imprégnée par l’idéologie protestante qui loue la responsabilité individuelle et exècre toute forme d’Etat-providence, le vote de l’Obamacare a été un tour de force considérable de la part de l’ex-président. Toujours en 2010, son gouvernement a adopté la loi Dodd-Franck, première mesure de régulation financière depuis 1980 et l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan. Ces deux lois, bien que remarquables par leur singularité, n’ont pas marqué une rupture avec le dogme économique dominant mais découlaient plutôt d’une conjoncture favorable. En effet, Barack Obama a été élu par des citoyens américains encore traumatisés par la crise des subprimes, qui a montré la nécessité d’imposer certaines régulations à la bourse et de mettre en place un filet de sécurité sociale aux Etats-Unis. Néanmoins, ce contexte post-crise de 2008 favorable aux politiques du gouvernement Obama s’est rapidement altéré, et sa volonté réformatrice a été stoppée nette par la perte de la majorité démocrate dans les chambres hautes et basses du Congrès américain.

La page Obama a été définitivement tournée en 2016 avec l’élection de Donald Trump, un homme aux convictions diamétralement opposées. 

Donald Trump a multiplié les ruptures avec le néo-libéralisme…

Au cours de sa campagne, Donald Trump n’a cessé d’affirmer sa volonté de retirer les Etats-Unis de plusieurs accords de commerce multilatéraux. Selon ses propos, ce type d’accords joue en la défaveur de son pays en entraînant notamment des destructions d’emplois. Il a ainsi marqué une rupture nette avec la multiplication de signatures d’accords commerciaux multilatéraux sous les gouvernements précédents : ALENA (1994), accords de l’OMC (1994), accord de libre-échange avec l’Australie (2004), accord de partenariat transpacifique (2016) … Donald Trump est passé des paroles aux actes dès les premiers jours de son mandat en retirant les Etats-Unis du dernier accord cité. En 2018, il est parvenu à remplacer l’ALENA par l’Accord Canada-Etats-Unis-Mexique. Ce dernier permet de protéger certains secteurs économiques étatsuniens comme l’agriculture. Enfin, le président américain n’a cessé de menacer de quitter l’Organisation Mondiale du Commerce.

L’opposition de Donald Trump aux accords commerciaux multilatéraux s’inscrit dans un rejet plus général du libre-échange et de la mondialisation. La rupture est immense avec ses prédécesseurs qui n’ont cessé de plaider en faveur de la libéralisation des échanges de toutes sortes. Les velléités protectionnistes depuis longtemps assumées par le président américain ont engendré une levée de boucliers d’une frange importante des Républicains à l’annonce de sa candidature. 

L’opposition de Donald Trump au libre-échange a deux explications. Tout d’abord, l’ex-homme d’affaires a pour obsession de résorber les déficits commerciaux qu’entretiennent les Etats-Unis avec plusieurs pays. Au moment de son élection, en 2016, le pays enregistrait ainsi un déficit commercial total de plus de 500 milliards de dollars. Ensuite, il veut empêcher les délocalisations et les destructions d’emplois inévitablement liées à la mondialisation. A titre d’illustration, l’industrie étatsunienne a perdu près de 40% de ses effectifs entre 1979 et 2011. C’est grâce à ces deux explications qu’il est possible de comprendre la guerre commerciale qu’a menée le président américain contre la Chine. En effet, c’est à la fois pour réduire le déficit commercial majeur des Etats-Unis avec le géant Asiatique et pour sauvegarder l’industrie métallurgique américaine qu’il a imposé des taxes douanières sur les importations de fer et d’aluminium chinois au Printemps 2018. Cette guerre commerciale semble avoir pris fin début 2020 grâce à la signature d’un accord entre les deux pays. En effet, Donald Trump a obtenu de la Chine qu’elle importe plus de 200 milliards de dollars de produits américains dans un horizon de 2 ans.

Le président américain a en outre rompu avec le dogme monétariste des taux d’intérêt élevés en obtenant de la FED qu’elle les baisse à 1.5% en 2019 afin de stimuler les emprunts et ainsi l’investissement. Cette baisse est historique car la FED n’avait plus procédé à une réduction de ses taux depuis 2008. De plus, c’est seulement la troisième fois depuis 1980 que les taux directeurs de la banque centrale américaine passent sous les 2%, et la première fois que cette baisse n’est pas consécutive à une crise économique. 

Donald Trump a obtenu cette réduction des taux en faisant pression sur Jérôme Powell, le président de la banque centrale américaine. Cet acte est symptomatique de sa volonté de se soustraire à l’autorité d’institutions comme l’OMC ou la FED, aux convictions néo-libérales bien établies, afin de mettre en place son propre agenda de réformes. On peut ainsi voir dans l’élection du président républicain une affirmation du pouvoir exécutif face à l’influence des institutions non-élues.

… tout en y restant profondément lié

S’il a multiplié les ruptures avec les écrits de Friedman et Hayek ainsi qu’avec l’héritage de ses prédécesseurs, Donald Trump demeure malgré tout ancré dans un paradigme néo-libéral. Tout d’abord, l’ex-homme d’affaire est fondamentalement « pro-business » et s’oppose à la régulation financière, comme en témoignent notamment ses velléités de « détricoter » la loi Dodd-Franck pour mieux supprimer les entraves aux marchés boursiers. De plus, il est également hostile à l’Etat-providence. Si sa tentative d’abrogation de l’Obamacare a échoué en Juillet 2017 faute d’une majorité suffisante au Congrès, il a toutefois pu sabrer dans certaines dépenses sociales ainsi que dans des subventions. L’un de ses tout premiers décrets a par exemple interdit le financement d’ONGs soutenant l’avortement.  Enfin, son mandat a été marqué par une baisse drastique de l’impôt sur le revenu pour les particuliers et entreprises fin 2017. 

En définitive, la Trumpeconomics est inclassifiable et ambivalente. Elle se distingue nettement des politiques économiques des gouvernements précédents, qui épousaient pleinement le néo-libéralisme (de Ronald Reagan à Georges W. Bush) où tentaient de le réformer à la marge (Barack Obama). Entre attachement et rupture, Donald Trump entretient lui une relation beaucoup plus ambiguë avec la pensée de Friedman et Hayek. Une preuve de plus que le président américain ne fait rien comme les autres.

Jean-Maroun Besson

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