
Afin d’ouvrir la série d’articles d’Easynomics concernant le Covid19, l’impératif était de revenir sur la crise à la fois économique et financière. En effet au-delà d’une crise sanitaire sans précédent depuis près d’un siècle, le coronavirus est porteur d’une récession économique qui nous ramène aux grandes crises de l’histoire. D’autre part, elle interroge sur un changement de paradigme. Comme la crise de 2008 avait au préalable annoncé le « retour de Keynes », celle du coronavirus plaiderait pour un retour de interventionnisme budgétaire, un renforcement des prérogatives étatiques voire un plébiscite pour la délimitation nationale. Au cours de cette série d’articles, la rédaction d’Easynomics reviendra sur la problématique de la dette publique, celle du retour de l’Etat-Nation et enfin ce qui serait l’énième contre-attaque de Keynes. Avant de nous plonger dans ces sujets, revenons en profondeur sur les origines de cette crise mais aussi son ampleur.
Pire que la crise de 2008 ?
Dans son communiqué du 23 mars 2020, le Fonds Monétaire International (FMI) a jugé que la crise économique serait supérieure à celle engendrée par la crise des subprimes de 2008 qui a conduit à une récession mondiale avoisinant les 0,6% en 2009, récession qui a particulièrement touché les pays les plus de la zone euro. Cette ampleur historique s’est notamment matérialisée avec la chute de la Bourse de Paris. Ce jeudi 12 mars, le CAC40 a dévissé de 12,28% la plus forte chute de son histoire sur une séance.
La différence fondamentale entre la crise du coronavirus et une crise comme celle de 2008 en constitue bien sûr la nature. Si la crise de 2008 était une crise immobilière, financière et enfin bancaire, elle était avant tout structurelle. En opposition la crise du coronavirus incarne un choc, un arrêt pure et simple, qui laisse espérer une reprise voire une forte reprise, notamment du côté du FMI : « nous nous attendons à une reprise en 2021. L’impact économique est grave et sera grave, mais plus le virus est arrêté rapidement, plus la reprise sera rapide et ouverte ». Le sujet majeur constitue en effet le confinement, tant que le confinement dure les fondamentaux économiques feront fasse à une dégradation abyssale. Plus cette durée sera longue, plus la probabilité de voir une reprise progressive au second semestre de l’année diminue.
D’autre part, au-delà de la question du confinement qui lui est étroitement liée c’est celle du pic du coronavirus qui importe. Tant que les cas de coronavirus n’auront pas plafonner et atteint leur pic, les investisseurs notamment sur le marché des actions pricent un scénario économique à la baisse et imaginent le pire. Contrairement à la crise de 2008 aux origines endogènes, celle du coronavirus est purement exogène. Venant d’un événement extérieur, elle se dissipera peu à peu avec son départ. Aujourd’hui, il reste difficile d’un point de vue macroéconomique de mesurer l’impact complet sur la croissance économique car les mesures de confinement ont seulement débuté en Europe, et ce très récemment dans certains états américains.
Des annonces budgétaires et monétaires, de concert
En réponse à ce choc asymétrique, les efforts de confinement certes, mais aussi les annonces budgétaires et monétaires ont eu tendance à s’uniformiser et ce afin de rassurer à terme les marchés. Après avoir inquiété dans un premier temps, la Banque Centrale Européenne a annoncé mercredi dernier le lancement d’un nouveau dispositif qui lui permettra d’acheter pour 750 milliards d’actifs, le « programme d’achat urgence pandémique ». Ce montant très important outrepasse le quantitative easing (programme de gestion d’actifs) déployé en 2015. D’autre part il matérialise une rupture dans la doxa européenne et celle de l’indépendance de la banque centrale. La BCE pourra en effet acheter des obligations de la Grèce, ce qui n’était pas le cas avec le précédent programme. De son côté, la FED a annoncé qu’elle achèterait des quantités illimités de Treasuries et de MBS, mais surtout la création d’un Fonds de stabilisation avec une facilité de prêt de titres adossés à des actifs à terme, une facilité de prêt sur le marché monétaire et une facilité de crédit aux entreprises sur le marché secondaire.
Ces premières mesures ont eu des effets notables, en effet les rendements souverains se sont stabilisés grâce aux annonces et aux achats des banques nationales. Les rendements du Trésor à 10 ans s’établit à 0,82% et celui du Bund à 0,37%. On observe que la stratégie commune a rapidement tourné au all-in, « quoi qu’il en coûte » développait le Président français Emmanuel Macron. Les instruments budgétaires plus marginalisés, ont également servi de garantie dans ce choc. Aux Etats-Unis, les démocrates ont à nouveau voté contre la version républicaine du programme de soutien économique. Toutefois, ils ont suggéré leur propre version (2 500 milliards de dollars américains et qui comprendrait des cartes de crédit/voitures des suspensions de paiement des hypothèques) et les négociations sont en cours. Cette alliance du policy mix laisse suggérer à certains que les banques centrales interviennent insuffisamment en faveur de l’économie réelle. Dans Marianne, Jean-Michel Quatrepoint et Joseph Leddet propose des transferts massifs vers les citoyens. « La BCE devrait mettre à la disposition des banques centrales nationales des dotations de l’ordre de 5% à 10% de leur PIB respectif. Pour la France, cela représenterait de 115 à 230 milliards d’euros. La Banque de France distribuerait cette dotation, sous forme de subventions non remboursables aux entreprises et aux ménages les plus touchés par la crise. C’est bien évidemment l’État qui déterminerait le profil des bénéficiaires. »
Vers un changement de paradigme ?
Derrière ces dernières propositions, on observe bien la tentation de renverser la table et mettre fin au capitalisme actionnarial en développement depuis les années 1990. Avant la crise de 2008, chaque grande crise s’est accompagné d’un changement de mode de régulation. Économiquement elle-ci a même été théorisée par l’école de la régulation, dirigé entre autre par Robert Boyer. Néanmoins par sa construction même, la crise du coronavirus ne peut pas être la chute d’un système. En effet ce n’est pas le système économique en place qui a provoqué la crise du coronavirus, mais bien un choc exogène. On peut d’autre part remarquer que plusieurs leçons des crises antérieures ont été retenues par les autorités en charge, et que la réaction a été systémique.
Ce que l’on peut davantage attendre de la crise du coronavirus, ce sont des réorientations ou des redirections. Sans changer pour autant de paradigme, les politiques économiques devraient être redirigés vers l’économie réelle et notamment la préservation des entreprises. D’autre part, en connexion avec l’économie réelle, la chaîne de valeur devrait être altérée : des circuits courts davantage privilégiés, un retour vers le national. En cela, la crise du coronavirus porte bien le terme de crise. Changement soudain et impactant, c’est un événement périodique qui dit finalement peu de choses du fonctionnement régulier de notre système économique, en revanche il dit tout de ses excès, ses délires, ses petites incohérences. La crise du coronavirus pourrait à ce titre, être l’oeuvre de tournants.
Nathan Granier