Covid19 : Faut-il s’inquiéter du niveau de la dette publique ?

Depuis l’annonce d’Emmanuel Macron sur la mise en place d’un soutien économique massif pour venir en aide au tissu productif français, beaucoup se demandent quel en sera le ressort en termes de dette publique. Notre ministre de l’économie et des finances Bruno Lemaire a reconnu que la dette restait le « point noir » des finances publiques après des critiques venant aussi bien de la Cour des Comptes que de la Commission Européenne (Bruxelles). A l’instar du déficit, la dette publique est présentée en pourcentage du PIB et effleure aujourd’hui, selon les dernières estimations de l’INSEE (98,7%), le montant du PIB français, à savoir 2415 milliards d’euros. C’est un chiffre impressionnant qui, à première vue, peut paraître vraiment inquiétant. Historiquement, c’est la première fois que la dette publique atteint un tel niveau en temps de paix. La dette devient de plus en plus une préoccupation médiatique et les tribunes économiques sont relativement pessimistes et montrent certaines formes d’inquiétudes la trouvant trop excessive. D’aucuns voudraient y voir la preuve d’une économie en faillite, d’une mauvaise gestion des fonds publics ou encore d’erreurs dans la mise en œuvre des politiques budgétaires. Mais peut-on affirmer que le niveau de la dette publique soit le reflet de la santé économique de la France ? Doit-on craindre le franchissement du seuil des 100% du PIB pour la stabilité économique de notre pays ? Décryptage. 

La dette française sous le prisme de différents agrégats

A l’aune de quels agrégats, de quels indicateurs peut-on jauger de l’excessivité d’une dette publique ? Dans certains pays comme la Grèce, le niveau de dette publique, aux alentours de 170% représentait un véritable danger pour l’avenir économique du pays tandis qu’au Japon cette dernière atteint 245% en 2019 et ne semblait pas inquiéter grand monde.

La dette publique s’accroît lorsque les dépenses d’une nation excèdent ses recettes, le train de vie de cette nation devient alors excessif parce que ce dernier progresse au delà du budget qu’il s’était fixé. C’est pour cette raison que l’on peut supposer que la dette publique serait inquiétante, elle serait la preuve attendue que l’État est un mauvais gestionnaire. Même si cette idée est fondée, elle n’est pas toujours vérifiée. 

Historiquement, il s’avère que la dette publique en France n’a cessé d’augmenter, ayant atteint des pics aux lendemains des deux conflits mondiaux en 1918 et 1945. C’est donc en temps de guerre que la dette a été la plus importante, en raison d’un besoin d’armes, de ravitaillement, de provisions. L’Etat a augmenté les dépenses publiques au nom de « l’effort de guerre », se traduisant par une hausse successive des impôts (création de l’IRPP en 1914).

Dans les années d’après-guerre, la dette s’est toujours résorbée grâce à l’apparition simultanée de la croissance et l’inflation. A cette époque, on ne considérait donc pas la dette comme un objet d’inquiétude, l’Etat pouvait augmenter ses dépenses si derrière la croissance en permettait la réduction. Mais, c’est au début des années 1980, quelques années après que la croissance ait commencé à s’affaiblir que l’on s’est posé des questions à son égard. Depuis 1974, la France n’a pas connu un seul exercice budgétaire équilibré tandis que nos voisins Allemands y dégagaient un excédent brut de l’ordre de 12%. L’alourdissement de la dette fonctionne tel un effet boule de neige, la dette actuelle est bien souvent le résultat de l’héritage de la dette d’hier. Sur les 2218 milliards d’euros de dette publique en 2017, 1800 milliards d’euros correspondaient à l’accumulation des dettes des précédentes années. L’acceptation systématique des déficits publics depuis les années 1970 a pu avoir des effets positifs à court terme comme le préconisait la théorie Keynésienne, mais crée de véritables déséquilibres sur le long terme, déséquilibres que Keynes avait sous-évalué. Si l’on suit ses préconisations, on comprend que l’augmentation des dépenses publiques pour satisfaire des projets porteurs de croissance n’est pas un problème parce que les externalités qui en ressortiront seront largement supérieures à la somme investie initialement. 

Cependant si la croissance escomptée n’est pas atteinte, sur long terme le poids de la dette finit par reprendre le dessus et l’augmentation des dépenses publiques se traduira toujours par une hausse des prélèvements obligatoires pour monétiser ce déséquilibre. C’est que nous apprend le théorème de Ricardo-Barro (ou théorème d’équivalence ricardienne) qui stipule qu’il y aurait à long terme équivalence entre l’augmentation de la dette publique aujourd’hui et l’augmentation des impôts requise demain pour le remboursement de cette dette et le paiement des intérêts. En effet si les dépenses publiques pour relancer l’appareil productif, ce que Emmanuel Macron et Bruno Lemaire envisagent de mettre en place, elles devront etre un jour (à long terme) remboursée avec des intérêts compris, pour effectuer ce remboursement l’état devra augmenter les prélèvements obligatoires. Ce qui va pénaliser le pouvoir d’achat des agents économiques et peut créer une dynamique de déflation.

A partir de là s’instaure un cercle vicieux dit de déflation par la dette mis en évidence par l’économiste américain Irving Fisher en 1933 ; La baisse durable des prix va accroître le poids de la dette réelle et réciproquement. On peut alors ici légitimement prétendre qu’un niveau élevé de dette est inquiétant pour la stabilité économique d’un pays étant le résultat d’une ou plusieurs erreurs sur les stratégies d’investissements publics. Dès lors, si la dette est « mauvaise » quand elle est le résultat d’erreurs d’investissement, peut-on supposer qu’une dette publique doit être considérée comme « bonne » si elle est constituée de dépenses pouvant améliorer l’efficacité économique de la nation ? C’est la théorie que l’ex directeur des recherches économiques de la banque Natixis P. Artus exposait dans un article pour les Echos. Selon lui la France serait « handicapée par sa mauvaise dette ». 

Une dette artificiellement soutenable ?

Depuis 2015 la France consacre plus de 45 milliards d’euros à la charge de la dette, c’est à dire au remboursement des seuls intérêts liés à l’endettement. Ce chiffre est important, mais comparé au chiffre globale de la dette il est négligeable, ce qui prouverait que le cœur de la dette publique est structurel. Mais pourquoi est-il si peu important ? Parce que les taux d’intérêts obligataires ont considérablement diminué avec la mise en place des politiques d’assouplissement quantitatif (Quantative Easying) à partir de 2015, conduisant à des taux historiquement faibles. La charge de la dette était de 2.7% en 2011, en 2017 elle ne pèse plus que 1,9% mais il semble peu probable que la France puisse s’endetter durablement à de tels taux. Le remboursement de la dette publique coûte donc de moins en moins cher mais ce niveau de taux d’intérêt crée forcément une bulle, à savoir une déconnexion entre l’alourdissement du ratio dette/PIB et la variation à la baisse des taux d’emprunt. Notre dette publique est aujourd’hui dite stable grâce à un environnement économique qui lui est favorable, c’est à dire, des taux d’intérêt faibles. Si les taux d’intérêts passaient de 2% à ne serait-ce que 3,5%, on se retrouverait en situation de crise de la dette publique !  

De plus, il y a un problème dans le mécanisme même du remboursement de la dette. Les capitaux remboursés dans la charge sont constitués de nouveaux emprunts. En effet l’Etat est obligé d’emprunter pour rembourser la dette et ces emprunts se font bien sûr avec des intérêts, nous sommes sont donc face à une dette qui s’auto-entretient. 

Enfin, il y a un autre argument relatif à la stabilité de la dette qu’il est intéressant de mentionner, mis en avant en 2016 par l’Assemblée Nationale dans le cadre d’une « Mission d’évaluation et de contrôle sur la gestion et la transparence de la dette publique ». Nous ne savons, de facto, pas véritablement qui sont les créanciers de notre dette publique. D’une part parce que les marchés sont très volatiles et que les constructions de titres sont complexes mais aussi parce que notre juridiction a pour volonté de protéger l’anonymat des investisseurs de crainte de les voir fuir le marché de la dette française, pour garder ce marché concurrentiel. Le fait de ne pas connaître les créanciers (et cela est souligné par le rapport de l’Assemblée Nationale) peut être problématique si ces derniers se déclarent insolvables, mettant alors en péril la stabilité de notre dette.

Une remise en question de la méthodologie du calcul de la dette publique

S’il est possible de distinguer une « bonne » d’une « mauvaise » dette publique, cela montre qu’il faut regarder de plus près de quoi est constituée cette dette. On s’intéresse aux dépenses nationales puis on analyse les rendements escomptés pour en déterminer la pertinence. Néanmoins lorsqu’on s’attarde sur le calcul de la dette, on prend en compte les chiffres donnés par l’INSEE, or la méthodologie utilisée par l’institut national des statistiques est basée sur des directives imposées en 1992 à Maastricht. Le chiffre proposé correspond à une dette brute qui ne prend pas en compte les actifs financiers, qui ne sont cependant pas négligeables dans les administrations publiques. 

D’après Jérôme Créel, le thermomètre à l’aune duquel on estime la lourdeur d’une dette (ratio dette/PIB) est un indicateur non pertinent. Il y aurait une double incohérence, tout d’abord parce qu’il y a un désajustement de l’horizon temporel, c’est-à-dire que l’on relativise une variable de long terme (la dette) à l’aune d’une variable de court terme (le PIB) mais également parce que le PIB correspond à l’ensemble des richesses créées par les agents marchands (privés) alors que la dette est le fruit des actions mises en œuvre par les administrations publiques. 

En 2012, Henri Sterdyniak se joint à Jérôme Créel pour la rédaction d’une lettre de l’OFCE (Observatoire Français des Conjonctures Économiques) où ils mettent en évidence et à juste titre que les administrations publiques possèdent des actifs financiers mais aussi et surtout des actifs physiques (infrastructures, édifices, routes, ponts, terrains…). Ils préconisent de revoir le calcul actuel du chiffre de la dette et de mettre en place un système similaire à celui qui est déjà instauré dans les instituts privés, à savoir, comparer les actifs et les passifs détenus par l’État. 

Selon l’INSEE, en 2017, biens qu’ils soient compliqués à calculer, les actifs physiques représentaient environ 7 fois le PIB de la France. Ce qui permet alors de relativiser quant aux inquiétudes que l’on pourrait avoir par rapport au niveau de la dette publique. La dette de la France est certaine importante si on la compare à son PIB mais les chances que la France soit déclarée en faillite sont quasiment nulles. Le chiffre de la dette est impertinent, du moins il ne donne pas de véritable information relativement à la santé économique du pays sinon un comparable aux 60% fixés lors de l’élaboration du Pacte de Stabilité et de Croissance de Maastricht qui est lui critiquable car supposé comme arbitraire.

 Ainsi dans le débat relatif à l’acceptabilité de la dette, il y a des arguments qui relèvent de la crédibilité. La question est de savoir quand est ce qu’une dette conduit à une perte de crédibilité de la nation. Il nous faire une distinction entre les termes; la soutenabilité correspond à la capacité d’un Etat à rembourser ses emprunts, donc sa solvabilité. La crédibilité correspond cependant à la confiance que les autres Etats ou institutions financières accordent dans l’Etat qui souhaitant emprunter. 

Quand on veut évoquer la crédibilité d’une dette, sa solvabilité, il est nécessaire d’estimer la maturité pour ainsi dire l’espérance de vie de celle ci. L’Etat français s’endette d’une part sur le marché obligataire à long terme, mais aussi sur le marché monétaire en émettant des bons du trésor, à court terme. La maturité serait alors la moyenne des échéances souscrites par les emprunts français. Et cette moyenne est de 7 ans en France, ce qui est relativement peu. Plus la maturité moyenne est courte, plus il est aisé de restructurer ou de rééchelonner la dette. (5 ans pour les Etats-Unis, 12 ans pour la Grèce et 15 ans pour le Japon). La France fait donc preuve de crédibilité et la dette publique semble être soutenable. Pourtant, les perspectives correspondantes aux taux obligataires montrent que ceux ci devraient diminuer. 

Comment, dès lors, freiner l’alourdissement de la dette publique ?

La réduction des dépenses publiques est une solution indiscutable. Le professeur et économiste Jean Paul Betbeze développe que la réduction des dépenses de l’Etat est économiquement, psychologiquement et politiquement la seule voie. C’est bien celle que le gouvernement prend de manière résolue depuis quelques années, après le dernier remaniement. Économiquement, c’est le « tournant » de la raison. Avec aussi peu d’inflation, il ne s’agit plus seulement de contenir les hausses de salaires nominaux mais bien de peser sur les effectifs et les structures. Si le gouvernement s’engage sur ce type de mesures, il peut alors poursuivre avec les dépenses sociales puis avec les dépenses des collectivités locales. Ceci implique, une véritable refonte de l’appareil public. Si cela se met en place, les ménages seront moins inquiets de hausses d’impôts futures et commenceront à réduire leur taux d’épargne financière, qui avait beaucoup monté. C’est là qu’intervient la psychologie, autrement dit l’équivalence ricardienne « Si je me dis que la dépense publique baissera, j’ai moins besoin d’épargner par crainte de hausses futures d’impôts ». 

Toutefois il ne faut pas couper dans n’importe quelles dépenses, ce sont les dépenses improductives qu’il faut diminuer, et non les dépenses d’investissement. Il faut ainsi agir avec précaution, parce que la dette publique est en partie la conséquence du faible taux de croissance, alors il faut à tout prix éviter de casser un potentiel de croissance future. Il faudrait donc permettre à la BCE de soutenir l’activité économique pour permettre aux pays de retrouver leur niveau de croissance potentielle. C’est lorsque les fondamentaux sont stables (chômage faibles, niveau d’inflation stable autour de 2% que la croissance a retrouvé son niveau potentiel et que le solde extérieur est proche de l’équilibre) que l’on peut envisager pour un État de « faire des économies ».

En définitive, la volonté d’Emmanuel Macron de soutenir massivement l’appareil productif français dans ce contexte de crise va inévitablement augmenter le niveau de la dette publique. Mais c’est une action qui est nécessaire pour éviter une crise généralisée des différents secteurs de production. Il y a cependant une discorde parmi les experts concernant les conséquences d’une hausse importante de la dette. Certains émettent l’hypothèse que la croissance attendue à la fin de la crise sanitaire permettra au contribuable de résorber la dette, d’autre pensent que l’euro fort d’aujourd’hui contribuerait à mettre en péril cette diminution cette dernière. Peut-être, après tout que l’on ne devrait pas attacher tant d’importance que cela au niveau de la dette publique, tant que la France reste un Etat crédible. 

Nathan Abitteboul 

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