Covid19 : le retour de l’Etat-nation

Le repli sur soi : des États Unis aux membres de l’Union Européenne

L’annonce que le COVID19 n’était plus qu’une épidémie mais une pandémie a déclenché une vague de réactions à travers le monde. Une des réactions les plus foudroyantes était la fermeture des frontières nationales des territoires faisant partie de l’Union Européenne. Ce ne sont pas les acteurs supranationaux qui se sont à priori prononcés sur de telles actions mais les États eux-mêmes. Le COVID19 signe-t-il une réorganisation de l’Union Européenne, une réémergence du repli sur soi ? 

La pandémie du COVID19 met en lumière les difficultés liées à la mondialisation et plus précisément la connectivité des territoires. Cette dernière est représentée en particulier par le trafic aérien qui ne cesse de croître. Selon la Banque Mondiale, en termes de voyage aérien, le nombre de voyageurs transportés entre 1970 et 2018 est passé de 310 millions à plus de 4.2 milliards de personnes. Cette année, il était prévu qu’il dépasse la barre des 4.3 milliards de personnes. En revanche, l’impact du COVID19 n’est pas à oublier, l’agence de notation S&P a annoncé que le coronavirus pourrait bien avoir un impact sans précèdent sur le trafic aérien, contribuant à un déclin de l’ordre de 30% du nombre de voyageurs aériens. 

A l’échelle mondiale, la fermeture des frontières et des aéroports sonne le glas du refus d’une mondialisation peu contrôlée voire frénétique. A commencer par l’annonce des États Unis le 10 mars 2020, le monde a commencé à se refermer peu à peu. Tous les passagers venant d’Europe (Royaume Uni exclu dans un premier temps) ne pouvaient plus rentrer aux États Unis pendant une durée de 30 jours. Levée de boucliers, les États européens, ont à leur tour fermé les frontières. La pandémie du COVID19 a révélé comme le dit si bien le journal le Monde, « les insuffisances de l’Union Européenne ». Les accords de Schengen, entrés en vigueur en 1985, font face à des nombreuses difficultés. Depuis l’Acte Unique, la liberté de circulation des personnes et des marchandises était le mot d’ordre au sein de l’Union Européenne. Loin d’être qu’une simple composante du régime de l’UE, la liberté de circulation est devenue le symbole même de l’Union Européenne à travers le monde. En revanche, en 2020, ce n’est pas ce regard qui est porté sur le traité. Nombreux sont les pays européens ayant fermé leurs frontières pour endiguer la progression du COVID19. Les premiers pays l’ayant fait étaient la Slovaquie, la Pologne, la Hongrie, l’Autriche, et la République Tchèque. Ce n’est pas un hasard que ce soient ces pays-là qui se referment sur eux-mêmes. 4 de ces 5 pays font partie du groupe de Višegrad, qui a une réalité politique depuis 1991, mais qui tire ses origines d’une réunion des Rois de Bohème en 1335. Bien que l’Autriche ne fasse pas partie du V4, nous pouvons constater que c’est un pays qui partage quelques convictions similaires avec le groupe, notamment en ce qui concerne la gestion des frontières, et le maintien de la souveraineté. 

La progression du COVID19 soulève la question relative à la dérogation aux textes considérés comme étant des piliers de l’Union Européenne. Les États européens, ont-ils le droit de prendre la décision unilatérale de fermer leurs frontières aux pays voisins ? La législation européenne autorise une action unilatérale de la part des États lorsqu’une menace pèse sur la sécurité intérieure ou l’ordre public. C’est donc ce sur quoi les États se sont appuyés afin de fermer leurs frontières. De surcroît, selon Henri Labayle, professeur de droit public à l’Université de Pau, les textes européens relatifs à la liberté de circulation « ne di(sent) rien sur le contrôle aux frontières intérieures en matière de sécurité sanitaire ». Il existerait même un « vide juridique ». Ces deux constats réunis permettent donc aux États de reprendre la main et décider de leurs frontières. Force est de constater la mise à terme (provisoire) de la liberté de circulation des personnes lorsque la liberté de circulation des marchandises continue de sévir. Une atteinte à cette dernière résulterait en un manque d’approvisionnement de biens de première nécessité tels que les denrées alimentaires, masques chirurgicaux, médicaments…

Une Union Européenne peu présente

Lors de son allocution du 16 mars 2020, le président Emmanuel Macron a été mandaté pour annoncer la politique européenne face à ce fléau : « les frontières à l’entrée de l’Union européenne et de l’État Schengen seront fermées ». Il est intéressant ici de voir que ce ne sont pas les voix d’Ursula Von der Leyen que nous entendons mais celles de dirigeants nationaux. Les États ont pris le dessus sur l’Union.

La question des frontières est très épineuse pour l’Union Européenne ; une raison pouvant expliquer la quasi-absence de l’Union Européenne sur ce sujet. En effet, selon Eric Maurice, représentant de la Fondation Robert Schuman, « habituellement, le but de l’UE est de toucher le moins possible aux frontières ». En matière de frontières internes, les décisions étaient portées par les gouvernements respectifs des États. L’UE peut uniquement intervenir pour veiller à la libre circulation des marchandises et statuer sur la durée de la fermeture des frontières internes. En ce qui concerne les frontières externes, l’UE a été un peu plus affirmative en décidant la fermeture de ses frontières à l’extérieur pendant une durée de 30 jours. 

Le COVID19 révèle encore une fois l’insuffisance de l’UE face aux États qui ne font que se renforcer vis-à-vis de l’Union. Une voix unie européenne peine à être entendue sur l’échelle mondiale. Les tensions internes font que l’Union n’est pas un acteur de poids dans des situations de crise. Cela a été révélé à des maintes reprises, notamment en ce qui concerne la gestion de la crise grecque (Merkel qui envisage une sortie de la Grèce de la zone euro, ou un Grexit) tout comme la gestion de la crise des réfugiés en 2015, (système de quota proposé par la commission européenne, jamais entré en vigueur) Le règlement de Dublin en date de 2013 a été à l’origine de nombreux différends entre les États membres car il stipulait que la prise en charge des migrants et des demandeurs d’asile reposait sur les pays par lesquels ces derniers sont entrés dans le territoire de l’UE. Ceci représentait une charge beaucoup trop forte sur l’Italie (et notamment l’Ile de Lampedusa), ainsi que la Grèce (Ile de Lesbos au bord de l’explosion). Le problème qui en découlait était lié à la répartition des migrants au sein du territoire de l’UE. C’est dans ce contexte qu’un système de quotas a été établi, mais il a été refusé à des nombreuses reprises, notamment par les pays du V4 et l’Autriche, qui à son tour, a rétabli le contrôle des frontières entre son territoire et la Slovénie. 

L’UE a surmonté la crise grecque et la crise des migrants, mais la crise du COVID19 est différente des précédentes à de nombreux égards. Tout d’abord, dans ce contexte-là, le risque est endogène, il est interne au territoire, il provient du territoire lui-même.  De plus, une politique migratoire européenne (Règlement de Dublin I, II, III), et des dispositifs monétaires et financiers (FESF : fonds économique de stabilité européen, MESF mécanisme européen de stabilité financière) existent bien au sein de l’Union. Une politique sanitaire n’a à ce jour aucune réalité. C’est donc pour cela, que les États préfèrent se reconcentrer sur eux-mêmes.

Laurent Carroué explique que la crise grecque apparaissait comme un « laboratoire in vitro », la même expression peut s’appliquer à la crise des réfugiés ou encore à la situation d’aujourd’hui. L’Union, en date depuis le Traité de Rome de 1958, est toujours en phase d’expérimentation, la question qui se pose est de savoir si elle pourra continuer d’affronter la tempête. Les États ne reprendront-ils pas leur force une fois pour toutes sur l’Union ? Comme indiqué par Jacques Delors, ancien président de la Commission Européenne, le manque de solidarité entre les États membres de l’UE pourrait bien être un « danger mortel » pour l’Europe.

L’acteur majeur de cette crise : l’État Nation

Aujourd’hui, les peuples européens ne se retournent pas vers l’entité supranationale européenne pour les sauver de la crise, mais vers leurs gouvernements respectifs. Par exemple, la France est redevenue l’aile protectrice du peuple français lors de la crise. La France de Macron, loin d’être en rupture avec la chère histoire de la France, s’inscrit, en effet, dans sa continuité. Au milieu de l’effondrement et de l’hécatombe, la France tient debout, et elle restera debout. Telle était la posture des Rois de France et les grands hommes de l’histoire de France, et telle est la posture de Macron. 

L’histoire française montre que le relèvement de tout effondrement est un résultat des hommes forts de la nation (Napoléon Ier, Georges Clemenceau, General de Gaulle…). Suivant l’échec de la Révolution Française en 1789, et des nombreuses années sombres (La Terreur, Massacre de Septembre 1792), la venue de Napoléon Ier au pouvoir s’est couplée de plusieurs avancées pour le pays. La France a pu se recréer avec Napoléon. Ce dernier a eu le mérite de créer une structure étatique avec des institutions fortes. En effet, dès 1799, il créa le Sénat et en 1804, il édifia de nouvelles lois, et avec cela créa le Code Civil qui prit en compte les transformations résultant de la Révolution Française. Ce qui est à retenir de l’épisode napoléonien est la réorganisation administrative de la France qui a permis à terme une meilleure cohésion entre les concitoyens français. De manière analogue, en son temps, le Général de Gaulle fit de son mieux pour souder le peuple français grâce à son appel du 18 juin, appelant l’ensemble des français à la résistance et à la participation aux Forces Françaises Libres. Au sein de la crise, De Gaulle se montre comme étant l’homme fort de la situation voire même, le père de la patrie. En revanche, au sortir de la guerre, ce n’est pas lui qui dirige le pays. Entre 1946 et 1958, deux présidents se succèdent et la quatrième république fut marquée par une forte instabilité ministérielle (plus de 22 gouvernements entre 1947 et 1958). L’échec de la quatrième ne pourrait-elle pas être le résultat de l’absence d’un homme providentiel qui unit le peuple français ? Un gouvernement au bout de souffle ainsi que le début de la guerre d’Algérie signent le retour du général, qui reprend tout en main, et allie rétablissement de l’ordre dans la société ainsi que réforme. Il affermit les institutions, met en place une politique de grandeur pour la France, et finalement une troisième voie pour un État planificateur de l’industrie. 

La France est un exemple phare d’État Nation car comme expliqué précédemment l’ordre politique rencontre l’identité française. La notion d’État nation implique qu’un peuple, ayant une langue, histoire et coutumes communes se retrouve dans un même territoire géographique délimité. Comme le suggère l’historien Ernest Renan, dans sa conférence « Qu’est-ce qu’une nation ? » en 1882,   « La nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. […] Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore »

En France, l’État précède à la Nation. Les institutions étatiques ont permis à terme le sentiment d’appartenance à la nation (langue française obligatoire depuis l’Ordonnance de Villers-Cotterêt en 1539). La France n’est pas une mosaïque des peuples, un ensemble d’identités diverses et antagonistes, mais une nation unie. La résilience de la nation française, l’engagement des grands hommes français   ont permis la création d’un inconscient collectif français. Lors de la crise, ce ne sont pas uniquement les acteurs étatiques et administratifs qui agissent mais aussi le citoyen. Le fait que la France soit un État Nation implique que le sentiment d’adhérence et d’union règnent. C’est exactement cela qui est indispensable d’une crise. L’État doit dépasser ses simples fonctions régaliennes, il a pour but d’assurer non seulement la continuité des services nécessaires, mais aussi la solvabilité des entreprises sur son territoire, le bien-être de ses citoyens… Nul ne dénonce un interventionnisme étatique alors que l’État intervient dans tous les milieux pour sauver la nation. Aucun libéral ne s’indigne. C’est pour la simple et bonne raison qu’en ces temps de crise, les Français se retournent vers la nation française à qui ils font confiance, et c’est l’État Nation qui renait de ses cendres. 

Conclusion

Depuis les années 1970s et la mondialisation généralisée, nous avons eu tendance à favoriser les acteurs non-étatiques et supranationaux que l’État en lui-même. Les membres du G20, ont décidé le jeudi 26 mars, d’injecter 5000 milliards de dollars dans l’économie mondiale. Ils se sont résolus à faire face à la crise de façon commune et tous ensemble. De manière analogue, les dirigeants européens se sont rassemblés afin de chercher une réponse commune au COVID19. Ces pourparlers préparent la réunion des membres de l’Eurogroupe à venir.. Le sujet mis sur la table était la question de l’émission d’obligations conjointes (joint bonds) . En revanche, les pays du Nord ainsi que l’Allemagne ont refusé une telle proposition. Malgré les efforts de coopération, la fracture est réelle ; si cette crise du Coronavirus révèle une chose, c’est que le retour des États est imminent. Ce n’est pas la fin de l’Union qui est présagée mais une restructuration. La fin de la Crise du COVID19 amènera certainement un nouveau façonnement des relations bilatérales et multilatérales à l’échelle de la planète. 

Oumaima Sadouk

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