Green New Deal : un projet compromis ou relancé par le Covid-19 ?

En Mars 1933 le président des Etats-Unis Franklin Roosevelt décide de lancer un plan de relance massif et innovant pour venir en aide aux populations les plus pauvres et redresser une économie meurtrie par la crise de 1929. Ce plan de relance se construisait dans un premier temps à travers une politique de grands travaux ; l’aménagement hydroélectrique de la Tenessy Valley. Puis dans un second, à partir de 1935, de mesures coercitives avec la mise en place d’un salaire minimum en 1938 (Fair Labour Standard Act), l’adoption du social Security Act, qui donne l’occasion aux chômeurs d’être indemnisés. C’est en soi la première expérimentation de l’État providence et d’une régulation financière. Le « New Deal » est donc un programme d’investissement massif composé d’un ensemble de mesures budgétaires mais aussi de politiques et sociales qui visent à relancer l’économie après que cette dernière ait traversé une crise profonde. Le New Deal n’était pas seulement un programme économique, il était aussi politique et sociétal.

En 2007, le journaliste américain Thomas Friedman remet ce terme au gout du jour dans The New York Times en écrivant ces lignes : « We will only green the world when we change the very nature of the electricity grid. […] Finally, like the New Deal, if we undertake the green version, it has the potential to create a whole new clean power industry to spur our economy into the 21st century ». Un Green New Deal, un projet qui semblerait être en cohésion avec l’air du temps à un moment où le GIEC prévoit un réchauffement de la surface globale de la terre à 2°, une montée des eaux, une aggravation des catastrophes naturelles ou encore un épuisement des ressources naturelles, le tout causé par l’action de l’homme. Un projet tellement attrayant et évident que la député Alexandria Ocasio Cortez et le sénateur Edward Markey proposeront le 7 février 2019 devant la « chambre des représentants » un rapport dans lequel ils détailleront une stratégie d’investissement sur 10 ans ayant pour objectif d’atteindre une alimentation énergétique 100% renouvelable, refonder l’appareil productif, de construire ou reconstruire les infrastructures ou encore de réduire les émissions de gaz à effet de serre. En Europe, c’est avec le mouvement « European Spring Coalition » que l’idée d’un Green New Deal apparaît, lors des élections des députés Européens de 2019. En janvier 2020, la Commission Européenne présidée par Ursula Von Der Leyen présente un panel de politiques de long terme sous le nom « European Green Deal », moins ambitieux que le Green New Deal américain, on lui accorde une mesure plus réaliste.  

Mais depuis janvier 2020, un virus apparu en Asie immobilise subitement les économies les unes après les autres se propageant de l’Est à l’Ouest. Les dettes publiques s’envolent, la croissance plonge drastiquement, la récession frappe à la porte de la plupart des pays touchés par le virus. Les plans de relance seront donc nécessaires au lendemain de cette crise sanitaire, économique et financière. Il faut dès aujourd’hui préparer l’après. Ne serait-ce pas alors le bon moment d’opter pour la stratégie de la relance verte, d’une croissance durable et soutenable et d’une transition sur le plan énergétique ?

Le plus tôt sera le mieux

A. Occasio Cortez et E. Markey se fondent sur les publications scientifiques du GIEC pour montrer qu’une augmentation de 2° aurait pour conséquence des pertes annuelles de plus de 500 milliards de dollars à partir de 2100, des migrations massives, une disparition de certaines régions côtières et des principaux ports, ce qui représenterait un véritable manque à gagner. Depuis 2014, les économistes et climatologues montrent qu’il sera bien plus couteux de ne pas agir du tout que de mettre en place un plan d’investissement ayant pour objectif une transition écologique. La survenue du Covid-19 nous a fait prendre conscience que les dirigeants de toutes les nations n’étaient pas préparés à l’apparition d’un tel virus, il n’est pas exclu de croire qu’ils ne sont également pas préparés aux conséquences du dérèglement climatique. Un Green new deal serait ainsi un excellent moyen de sortir de la crise tout en nous préparant, voire en évitant une crise écologique. Rober Polin, professeur d’économie à l’Université du Massachusetts met en évidence que contrairement à ce que l’on peut penser, tous les investissements « verts » ne sont pas des investissements de long terme. Bien au contraire, lors du programme ARRA (American Recovery and Reinvestisment Act) auquel il a contribué en 2009, plus de 90 des 800 millions de dollars investis ont été alloués aux énergies vertes. Il explique qu’en 2009, peu de projets pouvaient avoir des véritables retombés économiques à court terme, parce qu’investir dans les énergies soutenables était une entreprise naissante. Cependant aujourd’hui, nous avons acquis un savoir faire et une certaine expertise, les retours financiers peuvent alors être bien plus rapide. Il évoque par exemple la rénovation éco-énergétique de tous les bâtiments publiques et commerciaux.

Certains se sont déjà lancés

Le chef du gouvernement de la Corée du Sud, Moon Jae-in s’est explicitement inspiré du Green New Deal Européen pour relancer l’appareil productif depuis la fin de la crise, voulant s’affirmer comme la première nation d’Asie à atteindre une alimentation énergétique entièrement renouvelable en 2050. Son plan inclurait une taxe carbone, l’obligation de mettre fin aux nouveaux investissements liés au charbon, mettre l’accent sur les énergies renouvelables, ainsi qu’une stratégie sur l’hydrogène. Selon les prospectives annoncés dans la résolution du New Green Deal Américain, une redirection des investissements vers des énergies renouvelables pourrait créer aux Etats-Unis des millions d’emplois sur plusieurs niveaux de qualification (ingénierie, conception, maintenance…) dans ce secteur. Toutes proportions gardées, ces créations d’emplois auront bien lieu en Corée du Sud. En 2018, selon l’IRENA (l’agence internationale pour les énergies renouvelables) 11 millions de postes ont été crées dans le monde grâce aux énergies renouvelables. On peut ici évoquer à la théorie de la destruction créatrice développée par J. Schumpeter dans Capitalisme, Socialisme et Démocratie. La destruction créatrice est le processus par lequel un nouveau modèle, porté par les innovations, se substitue au précédent. Lors d’une période de stagnation, voire de récession, une innovation dite de rupture émerge, on assiste à la diffusion de cette dernière sur le marché, elle est créatrice d’activité, c’est la phase de croissance. Au fil du temps, les agents économiques sont équipés, la demande s’érode et la concurrence entre les entreprises devient plus rude, étant alors le vecteur d’un retournement de la courbe, c’est la phase de récession. Financées par un investissement publique important les innovations écologiques pourraient mettre en place un nouveau paradigme technologique. On serait alors témoin dans un premier temps de destruction d’emplois dans les secteurs les plus polluants comme les énergies fossiles, puis dans les entreprises ne respectant plus de nouvelles normes misent en vigueur. Les innovations écologiques qui engendreraient de nouvelles activités qui déboucheraient sur l’émergence de nouvelles inventions à tel point que les destructions du secteur obsolescent deviendraient subalternes.

Un Green New Deal s’avère donc être une évidence, voire un impératif pour faire face à la crise que nous traversons. À Bruxelles, le 9 avril, treize ministres de l’environnement européens, dont les ministres français, allemand et italien, ont appelé à mettre le Green Deal au cœur de la relance économique européenne. Toutefois, ce n’est pas la direction que semble prendre la commission qui a annoncé ce mercredi 15 Avril avoir revu ses politiques d’investissement.

Face à l’impératif économique, la relance verte semble compromise

La lutte contre les ravages provoqués par la crise sanitaire puis économique doivent être ravaudés et ce à très (très) court terme. Il faut, le plus rapidement mettre un terme à l’hémorragie créée par un confinement généralisé indispensable mais destructeur d’un point de vue économique. Le gouvernement a donc décidé de soutenir l’économie française coute que coute, c’est le « quoi qu’il en soit » de E. Macron. L’urgence de la crise a rebattu les cartes. En effet, si l’on veut limiter les dommages collatéraux, conséquence d’un arrêt brutal de l’appareil productif, il va falloir injecter massivement des liquidités dans les secteurs établis qui ne sont pas forcement cohérents avec un développement soutenable et écologique (aviation, automobile, tourisme). Ces investissements sont nécessaires notamment pour éviter une augmentation du chômage, une baisse du pouvoir d’achat et une fracture de la production qui ferait plonger la récession. Philippe Lamberts président des Verts au Parlement européen, déclare à juste titre « c’est vrai que la ligne de crête est étroite : si on laisse crever tout ce qui n’est pas vert, on aura une révolution ». Nous avons un tissu productif qui, dans une certaine mesure, repose sur des industries relativement polluantes, mais il va falloir les sauver aujourd’hui pour les accompagner dans une transition demain.

Au delà d’un impératif en termes d’emplois, une relance verte est également menacée par le lobbying des entreprises qui se montrent réticentes à l’idée d’un projet de « Green Deal ».  L’AFEP (Association française des entreprises privées) a soumis à la commission une demande de report de nombreuses initiatives liées à une transition écologique. Le virus est devenu un argument de taille pour le contempteurs d’un Green Deal en vantant par exemple les mérites du plastique à usage unique pendant la crise. D’autant plus que de nombreuses grandes entreprises ont rejoint l’alliance pour une relance verte de Pascal Canfin (Président de la commission environnementale), synonyme d’investissements verts, mais font du lobbying en coulisse pour repousser les autres mesures du Green Deal. Une incohérence qui met en évidence les paradoxes d’un système au sein duquel les entreprises ont un pouvoir comparable, voire supérieur aux Etats nation.

La remise en cause d’un paradigme économique

Le projet d’une relance écologique fait émerger un débat quant au fondement même d’un modèle économique reposant sur l’hyper-mondialisation, l’exploitation des matières premières ou encore la libéralisation exacerbée des marchés. Un Green Deal impliquerait de revoir notre mode de consommation de masse pour se tourner vers des circuits courts afin de limiter notre empreinte carbone, des potentiels politiques de relocalisation et une centralisation des échanges autour du marché européen. Dans une tribune pour Libération, Daniel Cohen estime qu’au-delà de cet aspect conjoncturel, le coronavirus va tout à la fois favoriser une démondialisation des échanges et accélérer une dématérialisation brutale des économies de services. Les conditions actuelles nous imposent à bien des égards de consommer local, des produits sont néanmoins souvent plus onéreux, mais de meilleure qualité. Afin de soutenir cette transition les ministères de l’agriculture et de l’écologie ont conjointement proposé d’intégrer dans le projet d’une relance en lien avec le Green Deal Européen des investissements importants pour l’agriculture locale. La mise en place d’une relance budgétaire massive à l’échelle de l’union européenne impliquerait une coordination des politiques budgétaires entre les pays ayant ratifié cet accord et par là renforcer encore l’intégration économique. La Banque Européenne d’investissement s’est convertie en Banque du climat depuis le début de la crise pour favoriser chaque décision d’investissements verts.

L’économiste et associée principale à l’Institut pour le développement de Cambridge, Kate Raworth élabore à ce sujet une déconstruction des concepts économiques qui ont fondé le paradigme actuel avec la théorie du donut. Elle y remplace la traditionnelle courbe logarithmique de la croissance par deux cercles concentriques. L’équilibre d’une économie régénératrice et distributive doit se situer entre nos besoins existentiels primaires et un plafond écologique qui met en péril notre existence. Elle explique que la croissance éternelle n’est pas le bon objectif à rechercher. Elle appelle à faire preuve de maturité économique et de vivre dans le cadre qui nous est proposé par la planète et de ne pas vouloir en repousser les limites en permanence. Son diagramme incite à s’écarter d’un dogmatisme pour osciller entre un panel d’indicateur, passer d’une pensée linéaire à une pensée circulaire. Envisager le long terme dès la conception des produits et rompre avec l’obsolescence programmée par exemple. Dans son allocution du 13 avril E. Macron nous invitait à questionner le modèle néolibéral : « Il nous faudra bâtir une stratégie où nous retrouverons le temps long, la possibilité de planifier, la sobriété carbone, la prévention, la résilience qui seuls peuvent permettre de faire face aux crises à venir. »

En définitive, cette crise sanitaire nous met face aux incohérences et aux paradoxes de nos paradigmes socio-économiques. Cette crise nous incite également à faire preuve de bon sens, pour préparer un demain différent d’hier. Une relance économique qui reproduirait la situation antérieure n’est pas envisageable et une relance économique verte dont la transition écologique serait l’un des piliers de refonte de notre modèle économique, et pourquoi pas de nos structures gouvernementales. Dans la série « Baron Noir » produite par Canal +, étant nommé Premier Ministre, Philippe Rickwaert protagoniste de la série, suggère de redessiner le squelette du gouvernement, en s’inspirant du Japon qui en 1949 avait créé un supra-ministère de l’économie et des finances subordonnant les autres ministères, et de mettre en place un ministère de l’écologie qui pourrait superviser chaque décision. Une idée intéressante qui pourrait, pourquoi pas, voir le jour dans quelques années.

Nathan Abitteboul

Un commentaire sur “Green New Deal : un projet compromis ou relancé par le Covid-19 ?

  1. Bravo Monsieur Nathan Abitteboul pour cet article.
    Mais,pourquoi ce changement de paradigme  » dans quelques mois » et non pas  » dans quelques mois » en sortie du confinement ?

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