Covid-19 : Pourquoi la confiance menace la croissance ?

Le constat semble irréel tant il est brutal, glacial, terrifiant : la crise que nous traversons ne fait que commencer. Il y a tout d’abord la crainte d’une « deuxième vague », dans quelques jours, quelques semaines ou quelques mois – un retour en force du virus qui nous plongerait à nouveau dans l’angoisse de perdre nos proches, qui ferait grimper encore plus haut le funeste décompte du nombre de vies que le Covid-19 a volé. Mais s’ajoutent à cela les millions d’emplois supprimés, les fermetures d’entreprises et les plans sociaux : la crise est sanitaire ; elle sera aussi économique.

Les prévisions de Natixis qu’Arno Fontaine présentait lundi à Easynomics peignent une année noire pour l’économie française. Une récession de l’ordre de 9,6% qui ramènerait le PIB en dessous de son niveau de 2015 ; un taux de chômage qui repasserait au-dessus de 10% ; une dette publique qui atteindrait 118% des productions annuelles. Comment le coronavirus a pu déclencher une telle crise ? Comme à son habitude, Easynomics repart de zéro pour comprendre les raisons profondes de ce mécanisme…

Une crise déclenchée volontairement ?

La crise économique que nous allons traverser a une différence majeure avec celles de 2008 ou 1929 : elle a volontairement été déclenchée. La crise économique a de particulier qu’elle n’est pas un problème, mais la solution a un problème : la pandémie de Covid-19.

En réponse à celle-ci est née une mesure inédite dans l’histoire récente : le confinement de la population, l’arrêt de la majorité des entreprises. Un arbitrage a été opéré par les pouvoirs publics entre santé de l’économie et santé de la population ; et c’est cette dernière qui a été choisie.

C’est ici un premier constat, qui n’est pas très complexe : le confinement a entraîné une baisse de l’activité économique.

Celui-ci se confirme empiriquement. En comparant les données de mobilité de ses utilisateurs remontées par Apple et la variation de l’activité économique, on retrouve effectivement une corrélation positive significative (53,4%) entre baisse de la mobilité et variation de l’activité économique :

Baisse de la mobilité et variation de l'activité économique

Des disparités régionales

Le confinement n’a pas eu le même degré d’intensité dans toutes les régions : Ainsi, par exemple, les écoles ont fermé plus tôt dans la région Hauts-de-France et le déconfinement s’est fait plus progressivement dans les 4 régions « rouges ». Cette différence a été expliquée par la situation sanitaire : les régions les plus touchées ont été plus « protégées » par le confinement.

La crise n'a pas le même impact humain et économique sur toutes les régions

Cependant, il est intéressant de constater que les régions les plus touchées humainement ne sont pas nécessairement les plus touchées économiquement. Dans les Hauts-de-France, malgré un fort impact du virus et un déconfinement plus tardif, la baisse de l’activité n’est “que” de 31% (voir ci-dessus). Si l’effet du confinement est indéniable, d’autres facteurs doivent être pris en compte.

Le coronavirus, un poids pour la confiance

Parmi eux, l’impact psychologique de la pandémie ne doit pas être négligé. En effet, la crise sanitaire a eu un fort impact sur la mentalité des français. Dans ce cadre, Santé Publique France a mis en place une étude de suivi de la santé psychologique des Français pendant l’épidémie : CoviPrev. Nous avons essayé de croiser les résultats de cette dernière avec des indicateurs économiques. Des résultats semblent pertinents :

Les régions les plus touchées par la pandémie sont celles où la confiance en l'avenir a été la plus dégradée

Ainsi, une première corrélation négative apparaît entre le nombre de décès pour un million d’habitant et la confiance en l’avenir de la population. Cette dernière, est négative et relativement forte (-59%). Cela peut se comprendre : dans une région fortement frappée par la crise, où des proches ou soi-même sont touchés par la maladie, où le confinement s’annonce plus strict, la confiance est moins forte. Or, cela a un impact sur l’activité.

De la confiance à la croissance

En effet, de nombreux économistes ont étudié le lien entre la confiance et la croissance. En 1995, dans La société de confiance, Alain Peyrefitte explique que la « richesse des nations » ne s’explique pas que par des facteurs matériels (capital, travail, ressources naturelles, climat) mais aussi par les mentalités et les comportements. La confiance des individus notamment est un facteur central : si on ne croit pas en l’avenir, pourquoi consommer, investir, bref, pourquoi contribuer à la croissance ?

Dès lors, en impactant le moral et la confiance des français, la crise a réduit leur volonté de consommer. Cela se retrouve statistiquement : habituellement de 85%, la part du revenu des français attribué à la consommation est tombée à 70% pendant le confinement.

Mais cette situation pourrait s’aggraver elle-même… Ainsi, dans les régions frappées par la crise économique, il a souvent fallu recourir au chômage partiel. Cette mesure du gouvernement a sauvé de nombreuses entreprises, alors que celles-ci faisaient face à une chute de leur activité. Mais elle a aussi eu pour effet de faire perdre – temporairement – leur emploi et donc des repères à de nombreux salariés. En croisant les résultats de l’enquête sur la Santé Psychologique réalisée par Santé Publique France et le taux de demande de chômage partiel, une corrélation intéressante apparaît : en moyenne, plus une région a utilisé le dispositif de chômage partiel, plus sa population était anxieuse. Le coefficient de corrélation est de 64,8%.

Les régions ayant le plus recours au chômage partiel ont une population plus anxieuse

Pourquoi parlons-nous d’un potentiel cercle vicieux ? Dans les régions les plus touchées, la confiance réduit la consommation ; la consommation moins importante réduit l’activité des entreprises ; cette baisse d’activité demande de recourir au chômage partiel ; le recours au chômage partiel entraîne une hausse de l’anxiété ; cette dernière réduit encore la confiance des ménages :

Le cercle vicieux de la confiance en temps de coronavirus

Ce dernier n’est qu’un modèle théorique qui ne prend pas en compte d’autres facteurs bien plus importants : fin du confinement, disparition ou reprise de l’épidémie, mesures économiques, … Mais il insiste sur la relation forte qu’il existe entre confiance et croissance. En 1972, le prix Nobel d’économie Kenneth J. Arrow écrivait « pratiquement toutes les relations commerciales contiennent un élément de confiance ». Le rôle de celle-ci n’est pas à minimiser ; et si les politiques de relance ne s’intéressent pas à cette dernière, il y a fort à parier que le déconfinement ne suffira pas à faire repartir l’économie…

Elias Orphelin

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