Fonds souverain, le nouvel atout de puissance de l’Arabie Saoudite

Le Public Investment Fund (PIF), le fonds souverain saoudien, a été créé en 1971.  Alimenté par les recettes de l’exploitation du pétrole, il a pendant longtemps été essentiellement utilisé pour financer les infrastructures liées à l’or noir. 

Son rôle change cependant radicalement en 2015. Cette année là, le prince Mohammed Ben Salmane (MBS) devient l’homme fort du royaume en étant nommé Ministre de la défense et Président du Conseil des affaires économiques et du développement. MBS a pour ambition d’affirmer la puissance saoudienne à l’international. Dans le domaine militaire, il lance l’opération « Tempête du désert » contre les rebelles houthis, un groupe armé proche de l’ennemi iranien opérant au Yémen. Dans le domaine économique et social, il met en place le plan Vision 2030. Le PIF devient alors le « bras financier » de ce plan.

Le financement du plan Vision 2030

Vision 2030 est un large plan économique visant à réduire la dépendance de l’Arabie Saoudite au pétrole. L’or noir représente en effet plus de 90% de la valeur des exportations du royaume. Cette dépendance est source de risques. Ainsi, la chute du prix du baril entre 2014 et 2016 de 110 à 35$, due au ralentissement de la croissance des pays émergents et au développement du pétrole non conventionnel américain, a engendré une baisse substantielle des recettes du pays du Golfe. Depuis 2014, l’Arabie Saoudite est par conséquent déficitaire, et a notamment enregistré en 2016 un déficit record de 80 milliards de dollars.

Pour remédier à ce déficit, le programme Vision 2030 vise d’abord à instaurer un budget étatique équilibré, grâce à la réduction des dépenses publiques et la mise en place de taxes, comme une TVA de 5% sur de nombreux biens et services. En outre, Vision 2030 comprend de très lourds investissements pour créer des emplois (le chômage affecte près de 13% de la population active saoudienne) et dynamiser l’économie du royaume. MBS mise notamment sur les énergies renouvelables avec la création de gigantesques fermes de panneaux solaires. Le plan prévoit également la construction ex nihilo d’une quinzaine de villes nouvelles dans le désert. Parmi elles, Neom, une cité ultra futuriste aussi grande que la Bretagne, supposée voir le jour en 2025 au bord de la Mer Rouge. Ces villes sont censées constituer des atouts pour attirer des ressortissants étrangers et stimuler le tourisme dans le pays.

Mais tous ces projets engendrent des coûts pharaoniques. La construction de Neom coûte à elle seule plus de 500 milliards de dollars. La manne liée à l’exploitation du pétrole ne suffisant pas, le financement de Vision 2030 passe donc en partie par les plus-values des investissements réalisés par le Public Investment Fund.

La stratégie d’investissement du PIF

MBS veut faire du Public Investment Fund le premier fonds souverain mondial avec un objectif de 2000 milliards de dollars d’actifs sous gestion d’ici 2030 (contre 320 milliards aujourd’hui), dont 25% d’actifs internationaux. A titre de comparaison, le fonds souverain norvégien, premier actuellement, gère environ 1100 milliards de dollars d’actifs. La politique d’investissement du PIF à l’international est basée sur deux axes.

Tout d’abord, la prise de participation au capital d’entreprises d’envergure. Le PIF a notamment acquis 5% de Uber Technologies, 5% de Tesla (actions cédées en 2019) ou encore 10% de l’armateur allemand de transport maritime Hapag-Lloyd.

Ensuite, la coopération avec des entreprises et institutions financières étrangères. En 2017, le PIF a déboursé plus de 45 milliards de dollars pour créer avec l’opérateur de télécommunications japonais SoftBank le SoftBank Vision Fund, plus important fonds d’investissement dédié aux nouvelles technologies. Il possède notamment des parts dans Uber, Slack ou WeWork. De plus, le PIF a participé à la mise en place du programme franco-saoudien de capital-investissement. Depuis 2017, plus de 700 millions d’euros ont été investis dans des entreprises non-cotées françaises ou européennes grâce à ce programme.

Ainsi, au-delà du financement de Vision 2030, le PIF doit également permettre au royaume saoudien de devenir un acteur de premier-plan dans le secteur financier.

Les achats du PIF pendant la crise du coronavirus

Grâce à des mesures sanitaires restrictives, l’Arabie Saoudite a été jusque là plutôt résiliente face à l’épidémie de coronavirus, avec relativement peu de décès dus à la maladie. C’est dans le domaine économique que la crise a eu des conséquences dramatiques. En effet, elle a tari les deux principales sources de revenus du pays du Golfe : le pétrole, évidemment, avec un effondrement de la consommation qui a engendré une chute des cours, et le tourisme religieux (pèlerinage à La Mecque et dans les autres lieux saints de la religion musulmane), stoppé suite à la fermeture des frontières. Pour faire face à ce manque à gagner considérable, le gouvernement saoudien s’est vu obligé de mettre en place des mesures d’austérité : triplement de la TVA (de 5% à 15% du prix), suspensions de diverses allocations sociales, autorisation de coupes drastiques dans les salaires.

La crise du coronavirus a donc montré toute l’ampleur des risques qu’implique une économie peu diversifiée. Le plan Vision 2030, qui vise justement à diversifier l’économie saoudienne, gagne ainsi en pertinence, ce qui peut expliquer l’activisme du Public Investment Fund en ces temps de crise.

En effet, depuis le krach financier de mars 2020, le PIF est pris d’une frénésie d’achats afin de saisir toutes les opportunités qu’offrent les cours faibles. Ainsi, le gouverneur du PIF, Yasi al-Rumayyan, a déclaré de manière très pragmatique en avril : « Nous ne voulons pas gâcher une crise… Donc oui, nous sommes en recherche d’opportunités ». Rien qu’aux Etats-Unis, le PIF a réalisé 7,7 milliards de dollars d’opérations au premier trimestre.

En mars, le fonds souverain saoudien a notamment pris une participation de 8,2% au capital de Carnival, le premier opérateur de croisières mondial, ce qui lui a permis de devenir le second actionnaire de l’entreprise américaine. En avril, le PIF a acquis 5,7% du capital de Live Nation, leader de l’organisation de concerts dans le monde. Ces deux entreprises ont pour point commun d’opérer dans des secteurs profondément affectés par la crise, ce qui a fait s’effondrer leur valorisation boursière et donc permis au PIF d’acheter leurs actions à un prix très faible. Entre le 2 mars et le 27 avril (date d’acquisition), l’action de Live Nation a ainsi vu sa valeur chuter de près de 28%. Il faut ajouter à ces deux opérations massives des prises de participations d’ampleurs moindres (en proportion) au capital de Boeing, Facebook, Citigroup ou encore Disney.

Le PIF a pu réaliser ces diverses prises de participations grâce à un transfert en avril de 40 milliards de dollars depuis les réserves de l’Etat saoudien.

Le PIF est ainsi l’un des fonds d’investissements les plus actifs depuis le début de la crise du coronavirus, qui a agit comme un catalyseur de sa montée en puissance.

Quelles conséquences de cette montée en puissance ?

11ème fonds souverain fin 2019, le PIF devrait cette année faire son entrée dans le « top 10 » grâce à ses multiples investissements.

La frénésie d’achats au cours de la crise du coronavirus a permis au fonds souverain saoudien d’affirmer sa crédibilité à l’international en entrant au capital d’entreprises d’envergure et ce pour un coût faible. Le PIF se donne ainsi les moyens de devenir à terme un financeur incontournable à l’échelle mondiale. Sa stratégie d’investissement est jusqu’ici pertinente, avec la prise de participation dans des multinationales à la valeur stable et offrant une forte visibilité. 

Le PIF constitue aussi un atout de puissance pour l’Arabie Saoudite.  Il s’agit d’abord de l’outil financier utilisé par MBS pour préparer la période de l’après-pétrole en capitalisant sur les revenus actuels liés à l’exploitation de l’or noir. L’Arabie Saoudite rattrape ainsi son retard sur les autres monarchies pétrolières du Golfe que sont les Emirats Arabes Unis, le Koweït ou le Qatar, qui ont misé sur leur fonds souverain depuis quelques années. De plus, l’élargissement du portefeuille du PIF permet de compenser les larges pertes dues à la crise économique par une montée en puissance dans le domaine financier. Enfin, en entrant au capital de grandes entreprises, l’Arabie Saoudite acquière un pouvoir décisionnel sur celles-ci, ce qui lui permet de fortifier son influence dans la sphère économique. 

Néanmoins, la montée en puissance du fonds souverain saoudien est également source de risques. Certains économistes, comme le professeur de Cambridge et spécialiste des pays du Golfe John Sfakianakis, émettent ainsi des doutes sur la déconnexion entre la situation économique de l’Arabie Saoudite et l’activisme du PIF. Alors que le pays est en déficit, et que ses revenus ont chuté, le PIF investit massivement l’argent public à l’étranger, ce qui fragilise la santé financière du royaume. En outre, la prise de participations dans des entreprises profondément affectées par la crise du coronavirus est une stratégie risquée : ces entreprises vont connaître sur le court terme des résultats financiers médiocres, ce qui devrait plomber leurs dividendes et leur valorisation, et risquent même la faillite.

Jean-Maroun Besson

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