Google – Firefox : chroniques d’un mariage houleux

En août 2020, Google et Firefox ont trouvé un accord sur le renouvellement de leur contrat commercial : pour 3 ans au moins, Google sera à nouveau le moteur de recherche par défaut du navigateur Mozilla Firefox. Un partenariat qui offrira 450 millions d’euros à la fondation Mozilla ; mais avait-elle vraiment le choix ? Easynomics vous présente les dessous du mariage houleux qui lie les deux entreprises depuis près de 15 ans.

David face à Goliath

L’histoire de Google et Firefox est au départ celle de deux David qui veulent défier Goliath. Le nom de ce géant imprenable : Internet Explorer. Au début des années 2000, le navigateur de Microsoft est en effet utilisé par 80 à 90% des internautes. Installé par défaut sur tous les PC, il est incontournable.

Face à cette hégémonie, la fondation Mozilla est créée par des développeurs indépendants. Cette organisation à but non lucratif lance en 2004 Firefox 1.0, un navigateur open-source. Son modèle, plus libre que celui d’Explorer, fait mouche : en moins d’un an, le navigateur est téléchargé plus de 100 millions de fois.

Chez Firefox, on comprend vite que l’utilisation d’un navigateur est très liée à celle de son moteur de recherche. Celui d’Internet Explorer, Live Search (l’ancêtre de Bing) a du mal à concurrencer avec celui de Google. Ce dernier est plus rapide, plus précis : c’est sur ce point que les ingénieurs de Mozilla veulent parier : en 2006, la fondation Mozilla signe un contrat commercial avec Google. En échange d’une somme importante, elle intègre le moteur de recherche californien à son navigateur.

La stratégie est payante. Après quelques années, Firefox représente 40% du marché des navigateurs, et Google est devenu le moteur de recherche le plus utilisé. Ce modèle est très lucratif grâce à l’essor des nombreuses opportunités d’internet. Google se lance alors dans tous les domaines. La société californienne rachète Youtube et lance Google Maps. Elle grossit énormément, et son appétit l’amène à lorgner sur l’assiette de son partenaire commercial : et si Google proposait son propre navigateur ? La lune de miel touche à sa fin.

L’arrivée de Chrome

Le 11 décembre 2008, Google lance Chrome, son propre navigateur internet. Avec le recul, on voit là la fin de la coopération entre Mozilla et Google. Mais à l’époque, au moins en apparence, il n’en est rien : « Chrome n’est pas un concurrent de Firefox ; c’est un concurrent d’Internet Explorer. »

Les ingénieurs des deux sociétés sont proches, et continuent de travailler ensemble. Ils partagent la même vision d’un internet libre, qui favorise le partage. Dans Chrome, on retrouverait même des extraits du code de Firefox. « C’est toute la beauté du logiciel libre : reprendre et assembler des modules en vue de construire le produit qui correspond exactement à ce qu’on cherche. » explique Tristant Nitot, alors président de Mozilla Europe dans une interview au monde.

A la question « Google Chrome grignote-t-il sur les parts de marché de Firefox ? », il répond : « Ce qu’on voit pour l’instant, c’est que Chrome a connu quelques jours d’engouement, et que son utilisation tend à baisser. Parallèlement, Firefox 3 est de plus en plus utilisé ». Non, il n’est pas l’heure du divorce.

C’est d’autant plus vrai que Google et Mozilla viennent de renouveler leur accord commercial, et d’étendre la durée de celui-ci de 2 à 3 ans : la sortie de Chrome ne remet pas en cause le partenariat entre les 2 sociétés ; Google reste le moteur de recherche par défaut de Firefox.

Le hasard fait mal les choses

Cette relation à la lisière de la coopération et de la concurrence va durer quelques années durant lesquelles Google joue sur deux tableaux. D’une part, il est le moteur de recherche des nombreux utilisateurs de Firefox ; d’autre part, Chrome gagne peu à peu des afficionados.

Mais la donne change lorsque Google commence à viser les parts de marché de Firefox. Cela se fait d’abord de manière insidieuse. L’ex-vice-président de Mozilla l’explique dans un tweet de 2018 : « des publicités pour Chrome ont commencé à apparaître à côté des recherches de Firefox. Gmail et Gdocs sont devenus davantage sujets à des problèmes de performances sur Firefox ».

Ces accusations ne sont pas isolées. En juillet 2018, Chris Peterson, Program Manager chez Mozilla, reproche à Google de ralentir la performance des vidéos Youtube lorsqu’elles sont regardées sur Firefox. En cause : le changement de bibliothèque Java par Youtube pour une… Qui n’était pas supportée par Firefox.

Ces actions ont un effet concret sur l’utilisation des navigateurs. Alors qu’en 2010, Chrome ne pesait que 10% des parts de marché, il en représente 50% en 2015. Au détriment d’Internet Explorer ; mais aussi de Firefox.

Le divorce

Chez Mozilla, la situation est complexe. Comment continuer un partenariat avec ce qui est maintenant un concurrent direct ? A fortiori car Google se rapproche de plus en plus de ce que Mozilla combat : un navigateur hégémonique, avec des objectifs avant tout commerciaux. De l’autre côté de la balance, il y a la survie de la Fondation Mozilla ; en 2010, Google représente 84% de ses revenus. La réalité est difficile à accepter : Firefox est désormais dépendant de sa principale menace.

En 2014, Mozilla tente le tout pour le tout, en ne renouvelant pas son partenariat avec Google. Firefox est désormais lié par un juteux contrat à Yahoo. Cela permet à Yahoo de dépasser Bing, le moteur de recherche de Microsoft, et de faire frissonner la part de marché de Google, qui passe temporairement sous la barre des 75%. Mais quelques mois plus tard, le soufflé retombe et Yahoo et Firefox sont… moins utilisés qu’avant leur partenariat.

Ainsi, il y a quelques mois, Mozilla n’a pas d’autres choix que de s’engager à nouveau avec Google. Fragilisé par la crise, Mozilla doit par ailleurs se restructurer et supprimer 250 emplois. Ses tentatives de se diversifier, notamment pour concurrencer Google, s’avèrent être des échecs : les projets de téléphone ou de système d’exploitation de Mozilla ne verront pas le jour. Dans un monde où les systèmes d’exploitation, navigateurs et moteurs de recherche sont intimement liés, le rêve de Mozilla de fournir un navigateur libre semble difficile à réaliser. Avec Google, le mariage est à nouveau officialisé ; mais il est surtout imposé.

Elias Orphelin

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