Entretien avec Jean-Noël Barrot : Economiste et VP de la ComFi à l’Assemblée Nationale

Jean-Noël Barrot, secrétaire général du MODEM et vice-président de la Commission des Finances de l'Assemblée Nationale revient avec Easynomics sur le plan de relance et ses travaux de recherche.

Au moment où la France annonce son plan de relance, nous souhaitions revenir plus particulièrement sur celui-ci. Pour ce faire, nous recevons Jean-Noël Barrot. Député de la 2ème circonscription des Yvelines et secrétaire général du mouvement démocrate (MODEM), il est vice-président de la Commission des Finances et a été l’un des rapporteurs de l’importante loi PACTE. Son parcours est jonché par l’économie puisqu’il a effectué un doctorat en économie financière à HEC Paris, étudié à la Paris School of Economics et a lui-même été assistant professeur en finance au MIT. Nous revenons avec lui sur ses travaux de recherche, son intérêt pour l’économie, ainsi que la sortie de crise du Covid-19.

Pour débuter cet entretien, pouvez-vous nous présenter vos travaux de recherche, notamment à l’occasion de votre doctorat à HEC ?

Mes projets de recherche portaient sur les relations d’entreprise à entreprise, et en particulier sur la place et le rôle du crédit inter-entreprise, qu’on appelle plus communément les délais de paiement. Il s’agit d’un des moyens de financement de l’économie, c’est plus important encore que le crédit bancaire au cumulé. Je travaillais également sur la propagation des chocs au sein des systèmes de production et leur résilience face à ces chocs. Ces sujets ont été majeurs dans la gestion de la crise du Covid-19.

Ce que nous avons montré c’est que les délais de paiement que les entreprises doivent offrir à leurs clients sont parfois très difficiles à gérer pour les petites entreprises, et que cela les conduit à être plus exposés à un risque de défaillance. Nous avons observé que les politiques publiques menées pour réduire les délais de paiement, que ce soit en France ou aux Etats-Unis, ont eu un impact très fort sur la survie des entreprises fragiles financièrement, et même un impact sur leur capacité à recruter.

En quoi votre expertise de recherche vous aide-t-elle dans vos fonctions de député ? Que pensez-vous justement de ce lien entre théorie économique et action politique ?

Je dispose en effet d’une expertise universitaire, ce qui m’a permis lorsque j’étais rapporteur de la loi PACTE sur la partie financement des entreprises, d’avoir une expertise éclairée à la lumière des travaux récents. Par ailleurs mes travaux de recherche étant assez largement orientés sur l’évaluation des politiques publiques ciblant les entreprises, cela m’a également donné la conviction que le Parlement doit être le lieu de cette évaluation. J’ai participé à la promotion de cette mission à la fois avec la création du calendrier budgétaire et la création du printemps de l’évaluation, mais aussi avec la création d’une petite équipe interne à l’Assemblée qui participe au développement de LEXIMPACT (simulateur fiscal). Cela passe enfin par la création d’événements avec les rencontres de l’évaluation qui ont réuni en 2018 et en 2020 plusieurs centaines de chercheurs sur les politiques publiques.

La mission d’évaluation des politiques publiques par l’Assemblée se renforce à mon sens sous le quinquennat d’Emmanuel Macron, notamment avec ces différentes initiatives. 

Justement vous qui êtes secrétaire général du MODEM, quelle est selon vous la ligne économique du parti ? Existe-t-il notamment des différences avec la République En Marche ?

L’un des principaux désaccords pendant ce quinquennat sur les questions économiques a porté sur la réforme de l’Impôt sur la Fortune (ISF). Avec le MODEM, nous proposions de sortir de l’assiette de l’ISF l’investissement au capital des entreprises, plutôt que la création de l’impôt sur la fortune immobilière (en lieu et place de l’ISF). La ligne économique du MODEM est relativement proche de la République en Marche. Nous sommes favorable au développement de l’activité économique, tout en favorisant des initiatives comme l’actionnariat salarié, l’amélioration de la gouvernance des entreprises et le développement de la responsabilité sociale et environnementale.

Sur le plan du timing, le plan de relance n’intervient-il pas trop tard ? Un semestre plus tard que celui de l’Allemagne par exemple.

Je ne pense pas parce que la France a déjà injecté des sommes très importantes pour soutenir l’économie pendant la crise du Covid-19 depuis le début de l’année, autant pour soutenir les entreprises que les salariés. Nous avons accru notre dette publique de 20 points de PIB, c’est dire à quel point nous avons investi dans l’économie. Les milieux économiques, les chefs d’entreprise reconnaissent assez unanimement la rapidité et la puissance de l’intervention de l’Etat depuis le début de la crise. Maintenant nous sommes dans une autre logique avec la relance. Il s’agit de donner des perspectives aux entreprises, tout en préparant la France pour les transitions à venir. Le plan de relance me paraît ambitieux autant sur le montant, que sur la diversité des secteurs qui sont concernés, avec trois grandes priorités : celle de la transition écologique, de la souveraineté et de la cohésion.

(Sur la souveraineté). En réalité sur ce sujet, il y avait déjà un chantier engagé par Bruno Le Maire qui était celui du pacte productif dans laquelle se trouvait engagée la problématique d’indépendance de certaines filières. Il est vrai que la crise a mis en exergue la dépendance de notre pays (mais aussi d’autres pays), par exemple sur les masques, aux importations. Pendant la crise, la question de l’indépendance sur le plan de la santé est venue s’ajouter à celle de l’indépendance en matière technologique et alimentaire. Le cœur du plan de relance consiste justement à favoriser cette indépendance avec à la fois un contexte fiscal favorable permis par la baisse des impôts de production, mais aussi avec l’investissement de l’Etat pour soutenir le développement industriel des entreprises dans ce domaine.

(Sur le projet de loi de Finances 2021). Le prochain Projet de Loi de Finances portera justement sur le détail du plan de relance, ainsi que les contreparties qui peuvent être demandées aux principaux bénéficiaires de ces aides. Je pense par exemple à l’actionnariat salarié, à la participation à l’intéressement de l’actionnariat salarié. Les contreparties pourraient également être écologiques, même si ce plan de relance est déjà dans sa construction conçu pour soutenir la transition écologique.

Le plan de relance français est étroitement lié au plan de relance européen. Celui-ci n’est-il pas préoccupant compte-tenu du manque de ressources propres de l’Union ? Selon-vous, s’agit-il d’un pas fédéraliste, et si c’est le cas, est-ce positif ?

J’espère qu’il s’agit d’un premier pas vers une plus grande intégration. Avec le Mouvement Démocrate, nous considérons qu’il n’y a pas d’avenir pour les peuples d’Europe hors de l’Union. Nous nous en apercevons aujourd’hui dans la crise que nous vivons, autant sur le plan budgétaire et monétaire. L’Union Européenne nous donne une puissance budgétaire très importante. J’espère que ce premier pas historique, réalisé au mois de juillet dernier, sera le premier pas d’un élan budgétaire, après la réussite sur le plan monétaire.

(Sur le manque de ressources propres de l’Union). Je suis personnellement favorable à ce que l’Union puisse se doter de ressources propres, en taxant les plastiques, en mettant à profit le marché européen des droits à polluer, voire en taxant les GAFAM. Il s’agit à la fois de ressources propres, mais aussi de véritables messages politiques que l’Union peut envoyer au monde.

Pour conclure l’entretien, auriez-vous des économistes qui vous inspirent particulièrement ? Pensez-vous que le travail des économistes est suffisamment considéré sur le plan politique ?

Il n’y a pas besoin d’aller très loin pour trouver des économistes inspirants. En effet nous avons la chance en France d’avoir des pointures en la matière, comme Jean Tirole ou Olivier Blanchard, toute la diaspora des économistes français de grand talent.

(Sur l’écoute de ces économistes). Il y a du progrès. Le Président de la République a justement mis en place un groupe de travail d’économistes, dirigé par Jean Tirole et Olivier Blanchard. A l’Assemblée Nationale avec les rencontres de l’évaluation notamment, nous avons aussi pris l’habitude de travailler davantage avec des économistes, France Stratégie et un ensemble de travaux de recherche en mesure d’éclairer les débats. J’espère que nous allons poursuivre dans cette voie et la pérenniser.

Nathan Granier

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