Adopte un Prix Nobel #3 : Maurice Allais l’autodidacte

Maurice Allais, prix Nobel d'économie en 1988

C’est un autodidacte qui reçoit le Prix Nobel d’économie en 1988. Diplômé de l’École polytechnique en 1933, Maurice Allais est avant tout un physicien. C’est après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur que ce passionné d’histoire s’intéressera à l’économie. Il est particulièrement connu pour le paradoxe qui porte son nom. En 1988, il deviendra le premier Français récompensé par le Prix Nobel d’économie pour son œuvre protéiforme.

Un parcours singulier

Né aux portes de Paris en 1911, élevé par une mère commerçante, le jeune Maurice Allais est un élève polyvalent. Il touche aussi bien aux sciences et mathématiques qu’au latin et à la philosophie. Passionné d’histoire, il s’oriente finalement vers une classe préparatoire scientifique, à l’issue de laquelle il intègre l’Ecole polytechnique. Il y étudie la physique et la mécanique et en ressort major de la promotion de 1933, ce qui lui permet d’intégrer le prestigieux Corps des mines. Ce corps d’État est alors lié à l’exploitation minière et à la sécurité industrielle.

Le jeune fonctionnaire des mines est marqué par la Grande Dépression des années 1930. Alors que la Seconde Guerre mondiale éclate, il veut préparer l’après-guerre. Il commence alors à s’intéresser aux phénomènes économiques, dans l’espoir d’apporter des solutions pour éviter qu’un tel drame humain ne se reproduise. Il lit les grands auteurs.

Pour Maurice Allais, les sciences économiques doivent acquérir la rigueur des sciences dures et être confrontées à l’expérimentation. Les sciences dures, mais pas seulement : défenseur de l’interdisciplinarité, il prône le développement d’une théorie du comportement humain fondée sur l’économie, la psychologie et la sociologie.

Le Paradoxe d’Allais

C’est d’ailleurs l’expérimentation qui permet à Maurice Allais de donner son nom à un phénomène comportemental. Une expérience lui permet de discréditer la théorie de l’utilité espérée de John von Neumann et Oskar Morgenstern, des confrères issus eux aussi des sciences dures.

L’utilité est un concept théorisé par Daniel Bernoulli au XVIIIème siècle. Supposons qu’un individu immensément riche et un individu très pauvre se voient proposer 1000€. Pour une personne très pauvre, 1000€ est une somme importante et gagner une telle somme sera très utile pour augmenter son bonheur. En revanche, une personne immensément riche ne verra pas une telle utilité au fait de gagner 1000€. On définit donc l’utilité marginale décroissante d’une grandeur par une fonction logarithmique de cette grandeur.

La fonction d'utilité marginale est décroissante.

Chaque individu cherche à maximiser non pas la somme d’argent qu’il recevra, mais l’utilité que cette somme lui procurera. Ainsi, lors d’une loterie, l’individu sera prêt à prendre un risque non pas en fonction des gains moyens, mais de l’utilité moyenne qu’il peut en tirer. Il existerait donc une fonction d’utilité dont l’individu veut maximiser la moyenne. C’est la théorie de l’utilité espérée.

John von Neumann et Oskar Morgenstern, deux contemporains de Maurice Allais, s’intéressent aux interactions humaines à travers une approche axiomatique. C’est la théorie des jeux. Ils s’intéressent aux préférences des individus face au hasard. En particulier, ils dégagent quatre axiomes. Le théorème de John von Neumann et Oskar Morgenstern stipule qu’il existe une fonction d’utilité dont l’individu veut maximiser la moyenne si et seulement si les préférences des individus satisfont ces quatre axiomes. Ainsi, si ces quatre axiomes sont vérifiés, alors la théorie de l’utilité espérée est vérifiée. Or, pour John von Neumann et Oskar Morgenstern, les quatre axiomes sont vérifiés. Donc la théorie de l’utilité espérée est vérifiée.

Maurice Allais mène donc une expérimentation afin de dégager un contre-exemple qui invalide un des quatre axiomes. Il propose deux fois le choix entre deux lots à un groupe d’individus. Les lots comportent des risques plus ou moins importants de non gain. L’un des quatre axiomes, l’axiome d’indépendance veut que si l’individu choisit une option risquée lors de la première loterie, alors il choisira une option risquée également lors de la deuxième loterie. Des contre-exemples se dégagent de l’expérience, invalidant l’axiome d’indépendance.

L'expérience menée par Maurice Allais va à l'encontre de l'axiome d'indépendance.

L’axiome d’indépendance étant invalidé, la théorie de l’utilité espérée n’est plus vérifiée. Pour Maurice Allais, il ne s’agit pas d’un paradoxe, mais d’une réalité psychologique : l’homme cherche avant tout la sécurité. Pour mettre en évidence cette réalité, une démarche scientifique était nécessaire. 

Une démarche scientifique prolifique

La démarche scientifique de cet amateur lui vaut un Prix Nobel en 1988. Le scientifique explique à l’Académie Royale des Sciences de Suède que sa volonté de comprendre et son regard d’amateur lui ont permis de remettre en question des théories communément acceptées dès lors qu’elles n’étaient rigoureuses d’un point de vue scientifique. C’est ainsi qu’il a pu réaliser des avancées majeures dans de nombreux champs de l’économie, de l’équilibre économique général aux choix aléatoires en passant par la remise en question de la mondialisation et du libre échange et la répartition des ressources.

Maurice Allais est un autodidacte, certes, mais avec de solides compétences scientifiques et une rigueur qui lui permettent de se démarquer de ses contemporains. Nombre d’économistes, envieux envers les physiciens, ont tenté de calquer les équations de la physique sur leurs modèles économiques sans chercher à satisfaire la condition de reproductibilité des sciences physiques. Avec Maurice Allais, l’économie touche du doigt le statut de science.

Camille Guittonneau

Bibliographie

Allais, Maurice. « Les lignes directrices de mon oeuvre ». L’Actualité économique 65, no 3 (1989): 323. https://doi.org/10.7202/601494ar.

Allais, Maurice. « Reality Is Interdisciplinary ». American Journal of Economics and Sociology 52, no 1 (janvier 1993): 62‑62. https://doi.org/10.1111/j.1536-7150.1993.tb02741.x.

Gallois, Nicolas. « Maurice Allais (1911-2010) Les failles de l’économie de la décision ». Sciences Humaines, 18 mars 2019. https://www.scienceshumaines.com/maurice-allais-1911-2010-les-failles-de-l-economie-de-la-decision_fr_40762.html.

Maris, Bernard. Antimanuel d’économie. Vol. 1. Editions Bréal, 2003.

Nguyên Hoang, Lê. Argent, risques et paradoxes | Démocratie 12. Science4All. Consulté le 13 septembre 2020. https://www.youtube.com/watch?v=k3N5BsKmvg0&t=918s&ab_channel=Science4All.

Tenand, Marianne. « Choix en présence d’incertitude ». Paris School of Economics, 2015-2016. https://www.parisschoolofeconomics.eu/docs/tenand-marianne/micro-ens_choix-sous-incertitude.pdf.

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