La crise de la COVID-19 : le retour des biens communs ?

Nous observons aujourd’hui une tendance à considérer, ou plutôt à reconsidérer, la nature comme un bien inappropriable, qu’il faut respecter à tout prix, comme en témoignent les nombreuses manifestations sur la prise de conscience écologique ou animale, par exemple, qui ont dernièrement eu lieu en France – et ailleurs. Par définition, la nature préexiste à l’homme, raison pour laquelle cette dernière a longtemps été considérée comme un bien commun inappropriable. De quel droit l’Homme pourrait-il s’approprier quelque chose qui ne lui appartient pas ?

Toutefois depuis les années 1980, en même temps que la libéralisation des économies, les droits de propriété sur le vivant se sont développés. Cette dernière a dès lors contribué à sacrifier, au nom des droits de propriété, une partie de ce qui était depuis toujours considéré du domaine des communs. La santé est un bien commun à part entière car condition sine qua non de la vie ou du bien-vivre. Elle est un bien personnel que nous pensons être les seuls à pouvoir façonner par un mode de vie sain.

En réalité, le monde entier fait aujourd’hui face à une crise sanitaire d’une ampleur sans précédent, celle de la COVID-19, qui met la santé de tout un chacun, malgré lui, en péril. Qui aurait pensé que le gouvernement utiliserait une technique moyenâgeuse d’endiguement des maladies, communément appelée le confinement ? Ce sont les cités italiennes qui, les premières, avaient mis en place ce dispositif à Pise ou Gênes. Lorsque l’équipage des bateaux était infecté, ils devaient s’isoler pendant quarante jours, durée prescrite par Hippocrate et Galien, les 2 grands médecins de l’Antiquité. On appelait ces lieux spécifiques d’accueil les lazarets, l’ordre était donné aux soldats de tirer à vue pour ceux qui tenteraient de franchir ces zones de quarantaine. Cette pratique a été utilisée jusqu’au XIXe siècle et… en 2020 !

Le confinement a été imposé car aucune autre méthode ne semblait suffisante pour empêcher la propagation du virus, sa transmission et les complications vitales qu’elle entraîne pour les personnes les plus fragiles. Cette décision a été prise pour protéger l’humanité toute entière, par-delà les frontières et les différences, pour la considérer comme une communauté unie et soudée face à un même objectif : en finir avec cette crise aux conséquences chaotiques tant au niveau social qu’économique. Dès lors, la crise semble nous révéler l’importance d’une bonne gestion des biens communs.

La santé, un bien commun particulier

Toutes les disciplines ont essayé de définir ce qu’est un bien commun, de la théologie à l’économie, en passant par la philosophie et bien d’autres. Nous utiliserons surtout la définition économique. En économie, les biens communs sont définis comme rivaux (1) et excluables (2), i.e que (1) leur consommation par un individu empêche ou limite celle d’un autre et (2) des barrières sont mises à leur consommation (prix, règlementation).

La santé peut donc être considérée comme un bien commun car un individu malade peut en contaminer un autre, – ou des autres – ce qui réduit son capital santé, et des barrières sont mises à sa disposition (prix des médicaments, accès aux soins, par exemple).

Le coût social et économique de la crise

La barre des 1,2 million de morts dans le monde a été franchie et les principaux indicateurs économiques et sociaux sont au rouge dans la majorité des pays. La pauvreté explose, les inégalités augmentent, les dettes s’envolent, le PIB se contracte.

Certains pays comme l’Argentine et le Liban se sont déjà déclarés en défaut de paiement. En France, le montant total des mesures prises face à la crise sanitaire en ajoutant, les dispositifs exceptionnels de garantie mis en place par l’Etat (financement du dispositif d’activité partielle, fonds de solidarité pour les entreprises, dépenses supplémentaires pour l’assurance maladie etc…), s’élève à environ 500 milliards d’euros, soit plus de 20% de la richesse nationale ! Les prévisions estiment une contraction d’environ 11% du PIB et une dégradation des finances publiques avec une dette prévue à 120,9% soit environ 20 points de plus que l’année précédente.

Cette crise sanitaire ne pourrait se gérer par un pays individuellement car, comme l’a qualifiée l’OMS le 11 mars dernier, elle revêt les caractéristiques de la pandémie (du grec pan, qui signifie tous) qui se propage à tout un continent voire au monde entier ; alors qu’une épidémie (du grec epi, qui signifie au-dessus et demos, peuple) est la propagation d’une maladie à beaucoup de personnes mais au sein d’une zone bien définie.

Par définition, une pandémie globalise le risque, ce qui est caractéristique d’une économie de marché, mais quand le risque met en péril le bien si précieux qu’est la santé, cela pose problème. 

Les individus face au poids de leur responsabilité

Aristote disait déjà à son époque : « Ce qui est commun à tous fait l’objet de moins de soins, car les Hommes s’intéressent davantage à ce qui est à eux qu’à ce qu’ils possèdent en commun avec leurs semblables », idée qui sera reprise par le biologiste Garrett Hardin dans son ouvrage « La tragédie des biens communs ». Cette dernière se produit lorsque, dans l’hypothèse d’une économie rationnelle, surgit un conflit entre l’intérêt individuel et le bien commun où le résultat est perdant-perdant pour chacune de parties.

Notre santé est, a priori, un bien qui nous est fondamentalement personnel, inaliénable, mais un virus a permis de nuancer cette considération. Un individu peut en effet nous nuire par son manque de prudence. Le problème n’est donc plus personnel mais bel et bien collectif et étendu à tout le globe.  Il semble ainsi nécessaire de prendre en compte l’éthique et la responsabilité de chacun pour sortir rapidement de la crise. L’impératif kantien d’agir pour le bien d’un collectif prend tout son sens dans le contexte actuel. Il se transforme en un impératif économique où tout le monde en paie les conséquences et il devient ainsi impertinent de distinguer les comportements individuels et collectifs, puisqu’un comportement individuel conditionne le collectif.

Cette crise remet en cause le concept d’individualisme, qui connaît son âge d’or à partir du XIXe siècle où le champ des activités soumises au libre choix de l’individu s’élargit. Son émancipation qui suivra rend peu à peu ce terme péjoratif qui se confond presque avec celui d’égoïsme : la suprématie de l’individu sur le tout n’est plus obligatoirement légitime dans certaines sociétés, l’idée inverse commence à s’imposer.
L’individualisme repose sur l’idée que l’humanité est d’abord composée d’individus et non d’ensembles sociaux (nations, communautés etc…). C’est précisément cette conception des choses que met à mal la crise sanitaire : l’humanité est un tout qui doit être protégé par l’action individuelle. Certes, les lois permettent d’imposer les dites bonnes pratiques, mais elles ne peuvent faire sens et être pleinement respectées par chacun que si elles sont légitimes. 

Une prise de conscience est nécessaire pour leur donner cette légitimité. La prédominance du collectif dans la protection de ce bien commun de tous ne peut se faire que si l’idée qu’on ne peut s’approprier par égoïsme la santé ou la vie d’autrui est acceptée par le plus grand nombre. Dans son atypique ouvrage « Le Dépeupleur », Beckett écrivait « chacun est la proie d’un idéal » car, pour reprendre ses métaphores, la seule chance qu’ont les créatures enfermées dans un cylindre de seize mètres de haut de se libérer est de créer une échelle assez grande par coopération. Or, elles sont convaincues qu’aucune issue n’existe (ce qui est factuellement faux) et pensent donc n’avoir aucun intérêt à coopérer pour quoi que ce soit ; nous voyons ainsi l’écart qui existe parfois entre la réalité et le monde des idées. Cela signifie que si chacun est porté par un même idéal, la coopération qui en découlerait pourrait permettre d’en faire une réalité.  Dès lors, la morale n’est pas le seul et unique moyen d’atteindre un objectif collectif, il s’agit dans un premier temps, par bon sens, de comprendre que l’énergie qui se dégage d’un collectif est supérieure à celle d’un seul individu dans la gestion de ce bien commun qu’est la santé.

Alors que le repli communautaire et le rapport confus à l’individualisme alimentent les débats publics, penser comme un collectif dans le contexte de la crise pourrait en outre remodeler l’idée d’un idéal plus large, un idéal démocratique, sans cesse mis à mal…

Marjorie Bonnet

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