
Le jeudi 29 octobre 2020, le couperet tombe pour le sport amateur. Le Premier ministre Jean Castex vient de détailler les mesures liées au confinement annoncées la veille par Emmanuel Macron. L’interdiction de tout rassemblement public extérieur met fin à la pratique du sport en club. Dans les jours qui suivent, toutes les fédérations ou presque ont annoncé la suspension des compétitions dites non-professionnelles. Un deuxième épisode douloureux, après l’arrêt des compétitions en mars, attend désormais le monde amateur. Easynomics a voulu faire le point sur les conséquences économiques de la crise sanitaire pour le sport amateur.
Des pertes de revenus considérables
La première conséquence directe de la crise sanitaire touche le bilan comptable des clubs de sport amateur. Première source de revenus pour ces clubs : les adhérents. D’après une étude menée par le Centre de droit et d’économie du sport (CDES) de Limoges, les cotisations des licenciés représentent 42% du budget des clubs. Après la première vague, la rentrée a été compliquée pour le monde amateur. Le Ministère des Sports et de la Jeunesse a estimé entre 20 et 30% la baisse du nombre de licenciés par rapport à l’année 2019 selon les fédérations. Cela correspond à plus de 4 millions de Français qui ne sont pas réinscrits dans leurs clubs en septembre 2020. Cette diminution du nombre d’inscriptions est liée à la baisse du pouvoir d’achat des Français, pour qui les loisirs et le sport sont une source de dépenses. Autre explication, selon Pierre Rondeau, spécialiste en économie du sport, le confinement a fait augmenter de 30% la pratique sportive individuelle. Un confinement qui conduirait donc à une individualisation de la pratique du sport chez soi ou en extérieur. « Finalement, par la multiplication et par la durabilité des confinements, on va perdre l’habitude de pratiquer un sport en club ou en association », explique le co-directeur de l’Observatoire Sport et Société à la Fondation Jean Jaurès dans une interview accordée à France.tvsports. Le deuxième confinement pourrait donc engendrer une deuxième vague de diminution du nombre d’adhérents pour le sport amateur, voire même des demandes de remboursement sur l’année amputée.

Une autre perte de revenus réside dans l’annulation des matchs et des évènements associatifs, le système de restauration (buvette, club-house…) étant également une source supplémentaire de revenus pour les clubs. Ces activités sont le deuxième poste budgétaire (26%) des clubs amateurs. Une partie des ressources tient aussi de l’économie locale à travers les dons d’entreprises et partenariats privés (9%). Des pertes dans tous les postes budgétaires quasiment impossibles à chiffrer mais aux conséquences dramatiques. C’est donc toute une économie qui a été fragilisée par le premier confinement et dont le deuxième pourrait porter le coup de grâce.
Un plan de relance insuffisant qui creuse les inégalités avec le monde professionnel
Le plan de relance mis en place par l’Etat ne permet pas au club amateur de sortir la tête de l’eau. Sur les 100 milliards annoncés en septembre, seulement 0,12% est dédié à la pratique sportive, soit 120 millions d’euros, dont 40 millions dédiés à l’emploi. Or 80% des clubs sont exclus directement de ce dispositif d’aides à l’emploi de l’Etat car ils sont uniquement composés de bénévoles. Ces derniers ne peuvent donc pas bénéficier du chômage partiel. L’insuffisance du plan de relance devait être complétée par une hausse plus importante du budget alloué au sport, présenté fin septembre en conseil des ministres. Une hausse de près de 100 millions d’euros (710,4 à 802) presque uniquement dédié aux travaux pour les Jeux Olympiques de Paris 2024 (+ 94 millions).
Autre pan du plan de relance : l’allongement de la taxe Buffet. Cette taxe permet au sport amateur et à l’Etat de toucher une partie des droits télévisés du sport professionnel. Avec l’arrivée de Mediapro, cette taxe Buffet, fixée à 5%, est passée de 54 millions en 2016 à près de 74 millions en 2020. Seul hic, malgré une augmentation de 20 millions d’euros des revenus perçus grâce à la taxe, les montants versés aux clubs amateurs sont restés stables autour des 40 millions. C’est le budget sport de l’Etat qui a bénéficié de la hausse des droits télévisés.

Le plan de relance mis en place par l’Etat a également été très critiqué pour le fossé généré entre monde professionnel et amateur. Par exemple, la Fédération Française de Football a lancé un plan d’aide de 10 euros par licenciés dans près de 15 000 clubs, pour environ 2 millions de licenciés. La FFF peut également bénéficier d’une partie des 30 millions d’euros accordés aux clubs et aux fédérations à travers le plan de relance de l’Etat. A l’inverse, les clubs de Ligue 1 peuvent continuer les compétitions et même continuer de percevoir les droits télévisés. La Ligue de Football Professionnel a déjà contracté un prêt garanti par l’Etat (PGE) de 224,5 millions d’euros, et serait prêt à en valider un deuxième à hauteur de 112 millions d’euros. Des sommes astronomiques en comparaison aux quelques dizaines de millions d’euros accordés à peine aux clubs amateurs. « Le sport amateur n’est qu’une variable d’ajustement permanente » dénonce même Éric Thomas, président de l’Association française du football amateur, chez nos confrères de Libération.
Un « SOS » lancé à Emmanuel Macron, les JO 2024 en vue
A côté du plan de relance, en mai dernier, la Fondation du sport français avait lancé une première solution d’aide aux clubs amateurs avec la mission « Soutiens ton club » à travers des dons défiscalisés. Près de 6 mois plus tard, cette opération a réuni moins d’un million d’euros selon le Comité National Olympique du Sport Français (CNOSF). Une situation très alarmante pour le sport amateur qui apparaît presque sans solution face à la crise sanitaire. Denis Masseglia, président du CNOSF regroupant près de 95 Fédérations sportives, a ainsi adressé un « SOS » au président Emmanuel Macron dans une lettre ouverte publiée le 26 octobre. Les signataires s’y présentent comme l’une des plus grandes associations de France avec 3 millions de bénévoles répartis dans 170 000 clubs. Cette lettre a pourtant été rédigée avant les nouvelles mesures de confinement imposées par le Président de la République, preuve que, même sans confinement, le monde amateur était en grande difficulté.
Une situation d’autant plus compliquée que le sport français s’apprête à vivre un des grands moments de son histoire avec l’organisation des Jeux Olympiques 2024. Le sport amateur a tout naturellement son rôle à jouer puisqu’il est le premier encadrant des sportifs de demain. La candidature des Jeux Olympiques de Paris a d’ailleurs pour slogan « Génération 2024 » à destination de la jeunesse. Un symbole pour les sportifs de demain qui peuvent prendre pour exemple Tony Yoka, sacré champion olympique de boxe, en tant qu’amateur avant de se lancer dans une carrière professionnelle. Le sport amateur est et restera le fer de lance du sport professionnel. A condition de survivre à la crise sanitaire.
Victor Cousin