
Qui dit 26 décembre au Royaume-Uni dit bien évidemment « Boxing Day »… Ce fameux jour où le football anglais continue pendant les fêtes alors que ses voisins européens sont en pleine trêve hivernale. Cette tradition est devenue un véritable enjeu pour la course au titre en Premier League.
« Le titre de champion d’Angleterre ne se gagne pas le 26 décembre, mais il peut se perdre pendant le Boxing Day » adorait rappeler Sir Alex Ferguson, l’illustre ancien entraîneur de Manchester United. Une tradition qui s’est surtout imposée comme un véritable atout marketing pour la Ligue Anglaise. Au départ composé d’une seule journée de dix matchs, le Boxing Day comporte aujourd’hui 3 journées, étalées du 26 décembre au 1er janvier. La démonstration d’un produit culturel… devenu très rentable.
De la tradition aux bénéfices économiques
Pour connaître l’origine du « Boxing Day », il faut revenir au 26 décembre 1860 lorsque que Sheffield FC affronte le Hallam FC, l’autre équipe de la ville. Le premier derby et match interclub de l’histoire. Une date toute aussi symbolique puisque c’est un jour férié au Royaume-Uni. « La journée des boîtes » est une période de charité durant laquelle les élites devaient donner des petites boîtes remplies d’argent ou d’objets aux classes les moins favorisés. A partir du 19e siècle, le « boxing day » a donc son pendant en football Une double-histoire qui dure depuis plus d’un siècle. Lors de la première saison de Premier League en 1888/1889, le 26 décembre est déjà inclus dans le calendrier du championnat.
« La force du football anglais, c’est d’être parti d’une tradition pour en faire un véritable produit économique. C’est cette tradition qui a permis des bénéfices exceptionnels pour la Ligue » explique Pierre Rondeau, spécialiste en économie du sport. De ce fait, si cette journée du 26 décembre tient une place importante dans la culture britannique, la Ligue Anglaise et les clubs ont su en tirer un profit maximal. D’après le co-directeur de l’Observatoire Sport et Société, les prix des places augmentent de près de 4 euros pendant le boxing day. L’idée étant de maximiser les revenus issus de la billetterie. Durant cette période, l’affluence dans les stades affiche un taux record entre 95 et 100% de remplissage. De quoi augmenter les recettes « match-day » de 5 à 15% par rapport à un match normal. Des bénéfices économiques remis en cause cette année avec le coronavirus et la jauge de 2000 supporters dans les stades.
Un produit économique qui s’éloigne de la tradition ?
La Football Association (FA), fédération anglaise de football, a encore vu les choses en plus grand. Pour bénéficier de ces revenus uniques, la Ligue anglaise a instauré deux journées supplémentaires de championnat pendant les fêtes. La possibilité pour les diffuseurs de profiter d’un monopole incontestable. Seul championnat à jouer, match à 13h pour toucher le marché asiatique… Tout est fait pour bonifier les droits TV. Ce n’est pas anodin si Amazon a déboursé 105 millions d’euros pour pouvoir diffuser 20 matchs de Premier League, dont les dix matchs du 26 décembre. « Si le 26 décembre est une véritable tradition, on peut évidemment remettre en cause les journées du 28/29 décembre et celle du 1er janvier. Le côté marketing de la Ligue, c’est de nous faire croire que le boxing day est une période et non plus un seul jour », rappelle Pierre Rondeau.
Une remise en cause partagée également par les premiers acteurs du « Boxing Day ». Joueurs et entraîneurs sont régulièrement montés au créneau pour dénoncer la fatigue liée à ces trois journées de championnat disputées en sept jours seulement. L’année dernière, Jürgen Klopp, l’entraîneur du champion en titre Liverpool, avait qualifié de « crime » le calendrier choisi par la Ligue avec deux matchs en 48H à peine pour son équipe. Une période intense et éprouvante qui a régulièrement désigné le champion pour le reste de la saison. Sur les dix dernières années, seul Liverpool à deux reprises (2013-2014 / 2018-2019) n’a pas réussi à remporter le championnat après avoir été en tête à l’issue du « Boxing Day ».
Un produit économique intransférable ?
Les revenus économiques tirés du « Boxing Day » ont de quoi faire saliver les dirigeants des autres championnats. Mais alors, pourquoi le championnat anglais est-il le seul à avoir son « Boxing Day » ? « Tout simplement parce qu’on ne construit pas une telle puissance économique sans tradition » résume Pierre Rondeau. Ce spécialiste de l’économie du sport ne verrait pas d’un bon œil l’arrivée d’un boxing day dans le championnat français. Pourtant, de l’autre côté des Alpes, l’Italie a déjà essayé fin 2018 sans grand succès. Les stades en Série A n’avait rassemblé qu’en moyenne 25 000 spectateurs, soit 500 de moins qu’une journée lambda. La période avait en revanche été une réussite pour Sky qui avait touché plus de 5 millions de téléspectateurs sur l’ensemble de la 18ème journée avec un pic à 9,37% de parts d’audience pour Inter-Napoli. Un demi-échec surtout marqué par les insultes racistes à l’encontre de Kalidou Koulibaly, défenseur de Naples, et la mort d’un ultra de l’Inter juste avant le match. Une expérience que la Lega Serie A a abandonné dès la saison suivante.
Une idée qui s’est également propagée dans d’autres sports. Depuis 2016, c’est le Top 14 qui a vu naître son propre « Boxing Day » avec deux journées disputées pendant les fêtes. Des résultats probants pour la Ligue Nationale de Rugby avec près de 15% d’affluence supplémentaire en moyenne dans les stades. Il ne faut pas oublier que le rugby français a un calendrier chargé avec les compétitions européennes disputées le week-end. Ce « Boxing Day » n’a donc pas été importé pour ses bénéfices économiques mais davantage pour ses avantages en terme de calendrier. C’est peut-être sur ce chemin que pourrait se retrouver la Ligue de Football Professionnelle (LFP). Avec la crise du coronavirus, un trop grand nombre de matchs décalés la saison prochaine pourrait imposer l’idée d’un Boxing Day à la française. Selon Pierre Rondeau, co-directeur de l’Observatoire Sport et Société, « s’il faut passer par un Boxing Day, ce sera beaucoup plus lié à une contrainte conjoncturelle qu’à un choix marketing ». Pour cette saison, les supporters français sont déjà fixés. Ils devront attendre jusqu’au 6 janvier et la reprise de la Ligue 1. D’ici là, ils pourront patienter en profitant du duel Leicester-Manchester United ou du derby londonien entre Arsenal et Chelsea.
Victor Cousin