La TVA, un mastodonte fiscal dont on peut reverdir l’esprit

Décembre 2020 marque les cinq ans de l’accord de Paris, premier traité international visant à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre afin de contenir le réchauffement climatique. Le bilan est mauvais : la trajectoire amorcée par les 196 pays signataires pourrait mener à un réchauffement global de 4°C d’ici la fin du siècle, loin des 1,5°C fixés par l’accord. 

Lorsque l’on parle d’objectif, on doit parler de moyens. Les pouvoirs publics ont à leur disposition une palette d’instruments pour mettre en place une politique environnementale ambitieuse : qu’il s’agisse de réglementations pour contraindre, ou d’incitations pour orienter l’opportunité économique, la littérature économique regorge de théories et d’exemples pouvant inspirer les politiques publiques. 

Nous souhaitons dans cet article reprendre et approfondir une mesure proposée dans le cadre de la Convention Citoyenne pour le Climat : faire de l’un des principaux impôts de notre pays, la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA), un allié de la transition écologique. Les 150 citoyens tirés au sort avaient ainsi proposé de réduire la TVA pour les billets de train, en la faisant passer de 10% à 5,5%, incitant ainsi les agents économiques à utiliser davantage ce moyen de transport au détriment d’autres plus polluants, l’avion en particulier.

La mesure a cependant été repoussée par le gouvernement : à elle seule, elle représenterait un manque à gagner de 500 millions à 2 milliards d’euros par an pour l’Etat. Y toucher serait un sacrifice de précieuses rentrées d’argent trop important. Pensée dans les années 1950 aux grandes heures des Trente Glorieuses, la TVA peut  pourtant aujourd’hui être transformée pour répondre aux enjeux sociaux, fiscaux et environnementaux du XXIe siècle. 

A sa création, la TVA est conçue pour répondre à un enjeu particulier

La Taxe sur la Valeur Ajoutée doit être adaptée aux enjeux du XXIe siècle, en premier lieu car elle a été adoptée et mise en place dans un contexte qui n’a plus rien à voir avec celui d’aujourd’hui. Inventée en 1954 par Maurice Larré, futur heureux président de la Société Générale, la TVA est avant tout un moyen de revenir sur le système de taxe sur la production d’alors, dit “en cascade”, jugé opaque et injuste, notamment sévèrement critiqué par Pierre Poujade. La volonté d’alors était de taxer le produit à chaque stade de sa fabrication. Concrètement, tous les acteurs de la fabrication du produit payaient une taxe sur leurs achats mais également sur la totalité de la valeur ajoutée, c’est-à-dire la valeur créée par l’entreprise entre ce qu’elle a acheté et ce qu’elle revend. Un problème apparaît rapidement : les entreprises faisant appel à des sous-traitants sont directement désavantagées vis-à-vis d’une entreprise ayant internalisé tout son système de production.

Tout change avec l’introduction de la TVA. Les entreprises ne payent la taxe que sur la partie de leurs ventes qui correspond à leur valeur ajoutée. Qu’importe le nombre d’intermédiaires dans la création du produit : c’est le consommateur qui paie à la fin. Ce système fiscal est bien le reflet de son époque : la TVA décrit cette France des 30 Glorieuses, où le PIB croît sans que rien ne semble pouvoir l’arrêter, où l’investissement doit être dopé car la loi des débouchés de Say semble vouloir à jamais se réaliser. Aujourd’hui, il constitue encore le fer de lance de l’Etat en matière de recettes fiscales : 150 milliards d’euros de recettes, acquittées à plus de 70% par les ménages, soit plus du double de l’impôt sur le revenu ! 

La TVA, un impôt par nature déséquilibré

Parallèlement au rôle essentiel que joue la TVA dans le financement de l’Etat, des disparités sociales apparaissent avec cet impôt. Pour le comprendre, intéressons-nous à ce que la TVA taxe concrètement. 

Lorsque le revenu d’un individu augmente, il consomme davantage en valeur absolue. Mais une fois que l’on a acheté un paquet de pâtes, puis deux, puis trois, peu importe le revenu, on n’en achète pas de quatrième. Dès lors, on constate qu’en valeur relative, la consommation représente une part de moins en moins importante du revenu lorsque celui-ci augmente, aux dépens de l’épargne. Cette relation a été mise en avant par le statisticien allemand Ernst Engel en 1857, alors qu’il étudie le budget alimentaire de 157 familles.

John Maynard Keynes fera sien ce constat, en théorisant la propension marginale à consommer. Celle-ci désigne la part d’une augmentation de revenu allouée à la consommation. Pour Keynes, cette propension est décroissante, autrement dit, plus le revenu augmente, moins il sert à consommer, et plus il sert à épargner.

Or, cela est à mettre en perspective avec la définition de la TVA que nous avons présentée plus tôt : si la TVA taxe les revenus consommés, et que les plus pauvres consacrent une partie plus importante de leur revenu à la consommation, alors ils paient une proportion plus importante de leur revenu en TVA. Cette conclusion va à l’encontre du fonctionnement de l’impôt sur le revenu, qui est progressif, et selon lequel plus on est riche, plus on doit contribuer au financement des dépenses publiques. En cela, la TVA peut-être qualifiée “d’injuste” : elle demande plus à ceux qui ont moins.

La TVA ne remet pas seulement en question l’équilibre de justice entre les ménages ; elle le fait aussi entre les entreprises. Plus particulièrement, entre les entreprises françaises et celles étrangères vendant sur les plateformes en ligne telles qu’Amazon. Ainsi, un rapport du Ministère de l’économie daté de novembre 2019 montrait que “98% des sociétés étrangères opérant sur les places de marché ne payaient pas de TVA”. Pour ces sociétés qui vendent leurs produits en France, cette fraude à la TVA est un avantage considérable, qui les évite de payer 20% de leur chiffre d’affaires. Dans sa forme actuelle, la TVA désavantage ainsi les producteurs français face aux importations réalisées à travers les géants du e-commerce. 

Loin d’être un impôt idéologiquement neutre, la TVA justifie et nourrit des choix de société. Dès lors, si la “balance TVA” penche davantage d’un côté, pourquoi ne pas le faire de celui qui favorise le modèle économique vers lequel nous voulons tendre ? La TVA peut être un outil pour rendre le 21e siècle plus juste.

Pourquoi la TVA ne deviendrait-elle pas un allié de la transition écologique ?

Il est possible de faire de la TVA un outil au service de la transition écologique, en permettant l’orientation de l’opportunité économique sur certains produits et manières de consommer. C’est sur ce point que la Convention Citoyenne pour le Climat voulait agir. En baissant le taux de TVA sur les billets de train, on envoie un signal fort, et on incite les individus à se tourner vers une consommation plus respectueuse de l’environnement. 

Malheureusement, comme on a pu le voir précédemment, l’Etat reste encore trop dépendant de cette recette fiscale, et le gouvernement a rejeté cette proposition. Comme le note le ministre de l’économie Bruno Le Maire en juillet 2020 : “baisser la TVA, ce sont des dépenses fiscales qui sont très lourdes pour l’État ». Ce choix est d’autant plus difficile à faire que les recettes de l’Etat sont en berne à cause de la crise du coronavirus. La baisse de la consommation a fait chuter de 8,3 milliards les recettes issues de la TVA… Sans compter les autres exemptions exceptionnelles mises en place !

Si ce choix du gouvernement est contraint et finalement logique, on ne peut que regretter que la TVA ne comporte pas de dimension environnementale, qui serait pertinente dans certains cas. Associer la TVA à une démarche vertueuse serait un vrai acte concret pour le climat, intégré pleinement dans le quotidien de tous les agents économiques. A l’heure où l’on oppose encore trop souvent protection de l’environnement et dynamisme économique, “fin du monde” et “fin du mois”, cette utilisation de la TVA pourrait illustrer la possibilité  d’associer  une logique de profit et de rentabilité à une démarche écologiquement vertueuse. Contrairement à la taxe carbone, ayant entraîné la gronde des gillets jaunes, une telle réforme de la fiscalité permettrait d’augmenter le pouvoir d’achat. Loin d’opposer des mesures écologiques et sociales, elle les réconcilierait, enterrant les procès de « l’écologie punitive” ; en somme, une fiscalité environnementale et sociale.

Dans le même sens, il s’agirait d’orienter la consommation vers des produits locaux. On soutiendrait ainsi le “patriotisme gastronomique” dont le ministre Julien Denormandie faisait la promotion sur France Inter le 22 décembre. Pourquoi ne pas imaginer une TVA moins importante lorsqu’elle concerne des produits locaux, ou lorsque la transaction est payée en monnaie locale ?

Cependant, une condition subsiste : cette baisse de la TVA ne doit pas uniquement permettre aux entreprises de rétablir leurs marges, elle doit se répercuter sur les prix pour opérer une véritable incitation économique. Sans celle-ci, pas d’incitation à une consommation plus responsable.

Si le débat concernant la TVA comme outil de réorientation de notre modèle de consommation n’est aujourd’hui pas encore assez mûr pour être pleinement appliqué et assumé, nous pensons que ce pari peut constituer une réponse aux immenses enjeux que notre génération aura à traiter. Peut-on imaginer que les choses changent prochainement ? Mesure retenue par le Sénat dans le cadre de l’examen du budget 2021, la baisse du taux de TVA sur les billets de train proposée par la Convention Citoyenne sur le Climat ne se fait que l’écho d’une mesure similaire appliquée en Allemagne cette année, soulignant les limites de l’argumentaire traditionnel basé sur les «difficultés d’adéquation avec les règles communautaires » proposé par le ministre chargé des comptes publics, Olivier Dussopt. 

Bastien Antoine et Elias Orphelin 

2 commentaires sur “La TVA, un mastodonte fiscal dont on peut reverdir l’esprit

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