
Ce dimanche 21 février, la 109ème finale de l’Open d’Australie – l’un des 4 tournois majeurs de tennis au niveau mondial – se déroule entre Novak Djokovic et Daniil Medvedev. La veille, Naomi Osaka s’est imposée en finale dames. Un tournoi joué dans des conditions particulières. Avec une quarantaine de 14 jours imposée à tous les joueurs, une jauge de 30 000 spectateurs en début de tournoi puis un huis-clos total, le tournoi n’a pas été de tout repos. Pour Easynomics, c’est l’occasion de se pencher sur les gains économiques du tournoi pour les joueurs : le prize money. En pleine crise sanitaire, le prize money total a été maintenu à hauteur de 71,5 millions de dollars australiens (46,5 millions d’euros). Une réponse attendue, tant l’annulation de nombreux tournois en 2020, a plongé de nombreux joueurs mal classées en difficulté financière. Un maintien du prize money qui pourrait permettre de lutter contre les inégalités. Comment comprendre ce chiffre ? Décryptage.
Un prize money marqué par le Covid
Comme tous les sports, la crise sanitaire a marqué le tennis. La saison dernière, tous les tournois ont été annulés du 1er avril au 13 juillet. Parmi les grands évènements de tennis, Wimbledon a tout simplement été rayé du circuit. En France, Roland-Garros a, lui, réussi à avoir lieu quelques mois plus tard.
Si la compétition a désormais repris, il a fallu attendre l’Open d’Australie pour retrouver du public dans les stades. Une aubaine pour les joueurs mais surtout pour les organisateurs qui ont enfin pu vendre 30 000 places chaque jour. L’équivalent d’une jauge de 50% du stade. Et pour faire des recettes dans le tennis, il faut bien évidemment du public. Un huis clos généralisé depuis avril 2020 a plongé le tennis dans une crise profonde. Un chiffre qui résume ce marasme économique : la Fédération Française de Tennis a estimé à 50% la baisse du chiffre d’affaires de l’édition 2020 de Roland Garros.
Et pourtant, en ce début d’année 2021, l’Open d’Australie a décidé de maintenir une dotation équivalente à 2020 dédiée aux joueurs. Si les dotations sont maintenues avec une baisse de près de 50% de la billetterie, l’organisateur prend une décision : subir des pertes. Le directeur du tournoi australien, Craig Tiley a estimé les pertes financières de l’édition 2021 à hauteur de 78 millions de dollars australiens. En comparaison, Roland Garros avait établi son prize money à 38 millions d’euros, soit 90% de sa valeur habituelle. Ce qui n’a pas non plus empêché le tournoi parisien de perdre la moitié de son chiffre d’affaires. Un maintien du prize money à Melbourne donc exceptionnel pour un tournoi disputé dans ces conditions. De 2007 à 2020, les dotations du Grand chelem australien pour les joueurs ont augmenté de 255%. C’est la première fois que le prize money stagne d’une année à l’autre.
Un moyen pour lutter contre les inégalités de revenus
Si le prize money est maintenu autour de 71,5 millions de dollars, la répartition a été cependant modifié, et ceci surtout au profit des perdants des premiers tours. Pour cette édition 2021, le vainqueur empochera une somme 33% inférieure à celle de 2020, soit 1 800 000 euros contre 2 675 000 l’année dernière. A l’inverse, les dotations versées aux perdants du premier tour augmenteront de près de 11%, passant de 58 000 à 65 000 euros.
L’objectif affiché est clair : tous les joueurs éliminés avant les ¼ de finale recevront un prize money supérieur à celui des années précédentes. Au contraire, les cadors du circuit souvent éliminés à partir de ce stade de la compétition verront leurs revenus baisser. L’Open d’Australie a cherché à équilibrer son prize money pour une meilleure répartition des revenus pour les joueurs.
En ce temps de crise sanitaire, la question du prize money est revenue sur le devant de la scène à de multiples reprises. Pour les joueurs classés au-delà du Top 200, l’annulation de la plupart des petits tournois a considérablement fait chuter leurs revenus. Résultat, ils étaient en incapacité de couvrir tous leurs frais sans sponsor suffisant. En 2019, le 300ème joueur mondial gagnait 43 000 euros de prize money. Un salaire censé couvrir les déplacements du joueur, et de son staff aux 4 bouts du monde toute l’année. En 2020, ces revenus pourraient avoir diminué de moitié. Des inégalités persistantes que l’Open d’Australie a voulu gommer en offrant des dotations en hausse même pour les joueurs éliminés lors des qualifications du Grand Chelem australien. Une lutte contre les inégalités qui a pris une place importante lors de la saison 2020 marqué par la pandémie.
Le numéro un mondial Novak Djokovic a pris position à ce sujet en rejoignant un nouveau syndicat de joueurs : la Pro Tennis Players Association créée en 2020 par le Canadien Vasek Pospisil. « Notre volonté est d’étendre cette liste de joueurs qui vivent réellement du tennis, car à l’heure actuelle, nous n’avons qu’environ 200 joueurs qui peuvent vivre réellement du tennis » a déclaré le serbe juste avant le Masters de Londres fin 2020. La modification du prize money de l’Open d’Australie va dans ce sens. Sauf que l’objectif est encore loin d’être atteint, le tournoi australien est le Grand Chelem qui redistribue le mieux ses dotations. Les trois autres tournois majeurs peuvent s’en inspirer, tout comme la centaine de tournois des circuit ATP et WTA.
Des dotations paritaires
Un prize money inégalitaire mais aussi paritaire. S’il y a un point où le tennis a déjà fait un grand pas par rapport aux autres sports, c’est bien sur les dotations.
Le prize money versé aux femmes et aux hommes est tout simplement égal à l’Open d’Australie depuis l’édition 2000. C’est la même chose pour Roland Garros et Wimbledon depuis 2007. L’US Open fait encore mieux – le Grand chelem américain verse un prize money paritaire…depuis 1973. C’est le premier tournoi de tennis à imposer la parité des dotations aux joueurs et joueuses. Pour les curieux historiens, cette décision de l’US Open de 1973 avait fait suite à la fameuse « Battle of the Sexes ». Un match remporté par la star du tennis feminin de l’époque Billie Jean King face à Bobby Riggs, un ex-champion retraité persuadé de la supériorité du tennis masculin. La même année, la World Tennis Association (WTA) voyait le jour.
Près de 50 ans plus tard, le tennis est l’un des sports les plus paritaires. Au classement Forbes 2019 des sportives les mieux payées, les joueuses de tennis occupent les 11 premières places. Naomi Osaka championne 2021 de l’Open d’Australie gagnera donc 1 800 000 euros comme son homologue masculin. En comparaison, l’Equipe de France championne du monde en 2018 avait touché pas moins de 31 millions d’euros. L’année suivante, les Etats-Unis a reçu 3,3 millions d’euros pour son titre à la Coupe du monde féminine.
Le football est encore loin du compte. Alors que, de son côté, le tennis a fait un nouveau pas vers plus d’égalités avec la modification des prize money. Cette meilleure répartition a des conséquences directes sur le niveau de vie des joueurs, non pas des meilleurs joueurs qui vivent principalement des sponsors et des revenus publicitaires, mais des plus petits joueurs classés aux alentours du Top 100 mondial. Il faut désormais scruter minutieusement les prize money des prochains grands tournois une fois la crise sanitaire absorbée.
Victor Cousin