
« Je demande à tout le monde au Capitole des États-Unis de rester pacifique. Pas de violence ! » – Washington DC, 6 janvier 2021, dernier coup de théâtre pour l’homme d’affaire étasunien. Après avoir longtemps remis en cause la victoire du candidat démocrate Joe Biden qu’il dénonce frauduleuse, c’est le cœur serré que Donald Trump appelle à l’ordre ses manifestants. Le dernier acte du mandat Trumpien se clôture en tragédie : cinq morts, plusieurs dizaines de blessés. Nombreux condamnent le Président sortant de telles émeutes, parmi lesquelles les CEO des GAFAS dont Marc Zuckerberg, ayant suspendu temporairement le compte Facebook de ce dernier. En effet, les résultats des élections ont été pour l’homme politique un véritable cheminement vers le deuil. Il y a longtemps eu le déni, puis la colère et le marchandage, évidemment. Ainsi, après la dépression, Donald Trump semble enfin frôler du doigt la dernière étape tant attendue : l’acceptation. Certes, le mot est grand pour le Président sortant qui ne s’est pas présenté, le 20 janvier dernier, à l’investiture du quarante-sixième Président des États-Unis d’Amérique, Joe Biden. Pourtant, l’homme d’affaire reconnaît sa défaite quelques jours avant la transition, lorsque le Congrès valide enfin la victoire du candidat démocrate.
A présent, le défi est grand pour le Président entrant qui se voit confronté à une double crise d’une ampleur inégalée. D’une part, la crise sanitaire qui a plongé le monde dans une profonde récession depuis plus d’un an n’a guère épargné les États-Unis. Le Nouveau-Continent subit ainsi une crise économique plus colossale que celle vécue en 2008 : avec une chute de 31% du PIB américain au deuxième trimestre 2020 et une prévision de – 4.3% de croissance pour 2021, l’Amérique bat son funeste record de 2008 et ses – 2.8%. D’autre part, la drastique dichotomie sociale étasunienne entre les deux principaux partis politiques (républicains et démocrates) s’est vue renforcée par le personnage volcanique de Donald Trump.
La défaite du Républicain sonne l’heure du bilan rétrospectif : quelle Amérique l’homme d’affaire a-t-il laissé derrière lui ? Qu’il soit admiré ou détesté, aucune rhétorique n’est à faire : les chiffres jugeront par eux-mêmes la conclusion d’un long mandat tumultueux.
Le trompe œil Trumpien : un mandat aux résultats ambivalents
La priorité du Président sortant avait été affirmée dès sa candidature annoncée : redresser l’économie. Pour cause, l’électorat étasunien est historiquement intransigeant sur les chiffres économiques. Donald Trump se souvient donc surement de la défaite de George Bush en 1992, pourtant fortement acclamé après sa victoire contre Saddam Hussein, principalement liée à des indicateurs économiques peu flatteurs.
Ainsi, dès les campagnes de 2016, la stratégie est claire pour l’ambitieux homme d’affaire qui va jusqu’à promettre d’atteindre les 5% de croissance du PIB par an. Pourtant, son mandat est loin de faire l’unanimité chez les économistes.
L’enjeu du chômage
L’électorat américain aura été gâté en promesses ces quatre dernières années, Donald Trump n’a certes nuancé ses paroles. « Je serai le plus grand créateur d’emplois que Dieu n’ait jamais créé », avait-il annoncé fièrement. Ainsi, au sortir de son mandat, Trump peut-il réellement se vanter d’avoir rendu Dieu fier ?
Souvent glorifiés et mis en exergue, Donald Trump a longuement flatté les résultats économiques du chômage sous son mandat. « Les emplois sont en plein essor, les salaires s’envolent ! », annonçait-il lors de son discours sur l’état de l’Union. Il est manifeste, comme l’indique le schéma ci-dessous, que le taux de chômage sous Donald Trump a maintenu sa décroissance, déjà amorcée sous Barack Obama. Le taux de chômage va jusqu’à frôler les 3.5% fin 2019, peu avant que la crise de la COVID-19 ne redistribue les cartes. Notons d’ailleurs que les inégalités sociales entre les communautés américaines se sont amoindries sous son mandat : le taux de chômage des Afro-Américains chute de 1.9% entre 2016 et fin 2019 et celui des Hispaniques de 1.6%.
Source : reuters
Pourtant, si l’on accorde au Président sortant que les emplois « sont en plein essor », force est de constater l’hyperbole notable lorsqu’il affirme des salaires s’envolant : la hausse atteint les 2.9% en 2019, contre 4.8% en Allemagne ou 3.8% pour ses voisins canadiens. De plus, Donald Trump ne peut certes s’accorder l’intégralité des mérites d’un tel redressement. En effet, il est primordial de rappeler que Jérôme Powell, Président de la FED (Banque Centrale américaine) avait annoncé dès 2018 que l’emploi était placé au cœur de sa politique. La FED a donc favorisé l’inflation, en maintenant les taux d’intérêt directeur quasi nuls afin de favoriser l’emploi. En effet, la corrélation négative entre l’inflation et le chômage avait été initialement analysée par Alban W. Phillips dès 1958, et, depuis sa création en 1913, la FED doit arbitrer entre la stabilité des prix et le taux de chômage. Jérôme Powell accepte donc de laisser l’inflation au-dessus de 2% pour « un certain temps » afin de diminuer le chômage. La hausse des emplois sous le mandat trumpien a donc entre autres été dopé par une politique monétaire laxiste.
Le défi de la croissance
Lors de son mandat, le Président multiplie les politiques de relance budgétaire. Fin 2017, il s’accorde avec le Congrès pour une nette réduction d’impôts profitant à tous les ménages imposables de façon presque proportionnelle aux revenus. Cette politique fait chuter de 8% l’impôt moyen. Les entreprises ne sont certainement pas oubliées : l’impôt sur les sociétés chute de 35% à 21%. Au-delà de jouer avec les taxes, Trump multiplie les investissements publics : au troisième trimestre 2019, l’État américain annonce une dépense de 2 000 milliards de dollars supplémentaires en dix ans. Pourtant, qu’en est-il de la dette publique ? Si l’homme d’affaire promet pendant plusieurs mois une réduction de ces dernières, notamment avec la mise en place de la politique de penny plan (diminution de 1% de dépenses fédérales par an) afin de respecter l’orthodoxie budgétaire, ce dernier abandonne rapidement cet idéal et laisse les dépenses couler jusqu’à atteindre en 2019, soit avant la crise sanitaire, près de 984 milliards de dollars.
« Comment Diable pourrait-on perdre cette élection ? » – G. Cohn
Malgré un bilan contrasté, il semblerait que les Trumponomics aient fait à plusieurs égards leurs preuves : avant l’impact de la crise sanitaire, le Président sortant atteint le fameux triple 3 tant proclamé par Gary Cohn, ex-conseiller économique du Président : 3% de croissance, 3% de chômage, 3% de hausse des salaires. A ce titre, 71% des électeurs s’annoncent satisfaits de la condition économique des USA sous le mandat trumpien et plus de la moitié des américains considèrent que les mesures de l’homme d’affaire étaient justifiées, d’après une étude de Quinnipiac. Pourtant, la soirée du 3 novembre 2020 est un pur calvaire : Joe Biden décroche 74 grands électeurs de plus que lui, c’est la douche froide pour Donald Trump.
Ainsi, si l’économie a toujours été le moteur principal de la popularité présidentielle étasunienne, comment expliquer une telle défaite ?
La personnalité volcanique du Président sortant est au cœur des critiques, seuls 38% des américains jugent favorablement Donald Trump. De plus, l’ancien président est également vivement critiqué sur ses prises de positions diplomatiques qui ont non seulement terni l’image de la Terre des Possibles à l’étranger mais également amplifié des tensions déjà bien établies.
- Des décisions politiques contestées : les relations internationales
Les tensions diplomatiques attisées par Donald Trump n’ont cessé de se multiplier ces dernières années. L’une d’entre elles ayant longtemps fait la une des journaux au printemps 2018 était sa décision de retirer les États-Unis de l’accord nucléaire avec l’Iran. Ce dernier annonce clairement sa volonté de mettre à mal le régime des mollahs afin de les pousser à une renégociation de l’accord nucléaire. Il menace ainsi Téhéran de sanctions « les plus dures de l’histoire » et prévient à multiples reprises sa volonté de sévir contre ses partenaires commerciaux entretenant des relations avec l’Iran.
De plus, ses tensions perpétuelles avec la Chine n’ont guère aidé : critiques ciblées et drastiques, publicités mensongères et calomnies – l’on se souvient du fameux « le réchauffement climatique est une invention chinoise » twitté en 2012 – n’ont fait que mettre de l’huile sur le feu entre les deux puissances planétaires. Si les taxes et la hausse des droits de douane n’ont cessé d’augmenter, une étude des économistes Mary Amiti, de la Fed, Stephen Redding, de Princeton, et David Weinstein, de Columbia, estime qu’au total les barrières douanières imposées en 2020 coûteront aux ménages américains 831 dollars, somme qui vient s’ajouter aux 414 dollars de 2019.
Cependant, force est de constater que le Président sortant n’a pas qu’attisé les tensions internationales. En effet, après avoir fait trembler le monde par ses menaces directement adressées à la Corée du Nord et promettre « le feu et la fureur » à son homologue nord-coréen, l’homme d’affaire et Kim Jong-un enterrent la hache de guerre afin de faire place à des discussions plus constructives. A partir de 2018, le duo réécrit la relation entre Washington et Pyongyang, notamment en se rencontrant à trois reprises. S’il a n’a réussi à faire signer à Kim Jong-un un accord renonçant aux armes atomiques, Donald Trump se définit depuis quelques années comme le génie du grand rapprochement et se plaît ainsi à le rappeler fréquemment.
- Le déficit budgétaire à des niveaux inégalés
Une autre critique adressée au mandat trumpien est sa gestion des dépenses publiques. En effet, le déficit américain poursuit sa croissance exponentielle sans prendre en compte la conjoncture du pays. Ainsi, comme critiquait le Prix Nobel d’économie Paul Krugman dans The New York Times, « le gouvernement fédéral injecte autant d’argent dans l’économie qu’il y a sept ans alors que le taux de chômage était supérieur à 8 % », situation rare et qui apparaît incongrue dans une économie pré-COVID-19 au chômage faible et stable.
La principale préoccupation liée à ces dépenses abusives repose sur l’identité du premier créancier des États-Unis : la Chine, disposant d’un stock d’emprunt de plus de 1.100 milliards de dollars sur 16.000 milliards. L’inquiétude est justifiée : les États-Unis sont conscients de leur dépendance à la Chine qui, s’il le décide, peut faire chuter les prix américains en revendant son stock de dette publique, et ceci ferait de facto remonter les taux des emprunts américains. Craintes cependant à nuancer dans la mesure où une telle décision impacterait également l’économie chinoise. Tout d’abord, le marché américain est le principal marché obligataire, la Chine n’aurait pas de réelles alternatives aux emprunts des États-Unis. Puis, notons qu’une partie des stocks chinois sont constitués de titres de portefeuilles, une telle manœuvre serait donc contre-productive voire néfaste pour l’économie.
Enfin, notons qu’en pandémie, les dépenses publiques des États-Unis ont augmenté de 46% par rapport à 2019. Si nombreux trouvent ces mesures justifiées car permettant de limiter l’impact négatif de la COVID-19 avec, notamment, la création de 11 millions d’emplois sur les 22 millions détruits de mars à avril 2020, tout porte à croire que la tendance à creuser le déficit est loin d’être endiguée.
- Une mauvaise gestion de la crise de la COVID-19
« Je vois que le désinfectant l’élimine en une minute. Une minute ! Et y a-t-il un moyen de faire quelque chose, par une injection à l’intérieur ou presque, un nettoyage ? », la réflexion à voix haute de Donald Trump glace le sang des scientifiques du monde entier. En quelques paroles, le Président décrédibilise l’ensemble de son gouvernement qui peine déjà à endiguer la pandémie. En effet, la COVID-19 fait à ce jour plus de 440 000 décès aux États-Unis. Ce chiffre alimente les critiques contre la mauvaise gestion de la pandémie d’un Président méfiant des sciences au point de faire quitter les États-Unis de l’Organisation Mondiale de la Santé en pleine pandémie. La mauvaise gestion sanitaire est au cœur du documentaire Totally under control, visionné près de 6 millions de fois en seulement trois jours. Les témoignages se multiplient, à la tête desquels celui de Rick Bright, ancien spécialiste des vaccins au Département de la santé américain, évincé par l’administration nationale.
Janvier 2021, « l’ère trumpienne » touche à sa fin. Le bilan économique du mandat de l’homme d’affaire reste mitigé et se clôture dans un cadre incertain et inquiétant. En 2017, Donald Trump hérite d’une Amérique affaiblie par les subprimes mais dont l’esprit de résilience ainsi que le mandat d’Obama avaient aider à digérer le choc. En 2021, il quitte la Maison Blanche en laissant derrière lui des États-Unis en proie à une guerre sanitaire sans précédent. Entre ces deux moments historiques, des hauts et des bas, des frictions et de nouvelles alliances, des chiffres rassurants mais dopés et replongeant. Bref, un mandat aussi contrasté que l’a été sa présidence. Le défi est donc de taille pour celui qui se fait appeler « le candidat démocrate mais Président de tous les Américains » afin de stabiliser une économie ravagée et souder une société divisée.
Audrey Barbieri