La garantie emploi : une mesure pour en finir avec le chômage de masse ?

La mesure de la garantie emploi connaît aujourd’hui une audience grandissante avec les initiatives Territoires Zéro Chômeur ou « Garantie Emploi Vert » défendue par l’Institut Rousseau ou Hémisphère Gauche. Pour décrypter cette mesure : entretien avec Dany Lang, maître de conférences en économie à l’Université Paris 13, membre des Economistes atterrés et également responsable du groupe de travail « Analyses et modélisations Post-Keynésiennes » du Centre d’Economie de Paris Nord (UMR CNRS). Constitue-t-elle une solution viable pour en finir avec le chômage de masse ?

La situation de chômage de masse dans laquelle nous nous trouvons depuis plusieurs décennies semble être devenue inexorable. En 1993, François Mitterrand affirmait déjà : « contre le chômage, on a tout essayé ». Face à cette capitulation, vous plaidez pour la mise en place d’une « garantie d’emploi », une mesure inspirée de l’Etat employeur en dernier ressort de l’Economiste américain Hyman Minsky. En quoi consiste cette mesure et en quoi est-elle pertinente selon vous ? Sur le plan écologique notamment ? 

La garantie d’emploi est une mesure qui consiste en premier lieu à prendre au sérieux l’article 23 de la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, ainsi que le préambule de la constitution de 1946 intégrée au sein du « bloc de constitutionnalité », qui disposent que chacun a le droit d’obtenir un emploi. Ce droit au travail n’est plus pris au sérieux depuis le tournant néolibéral des années 1980 : ni le marché, ni l’Etat n’ont réussi à résorber le chômage de masse qui demeure un mal endémique au sein de nos sociétés capitalistes. La garantie d’emploi consiste alors à offrir un emploi payé dignement – au niveau du salaire minimum ou un peu au-dessus, en fonction des compétences – à tous les chômeurs, payé par l’Etat. Cet emploi répond aux besoins locaux, ouvre droit à des prestations sociales (chômage, retraite) et donne droit à une formation au choix de la personne. Il ne s’agit surtout pas d’une obligation de travail dans la mesure où, d’une part, la personne peut quitter l’emploi garanti quand elle le souhaite pour retourner travailler dans le public ou le privé et ou, d’autre part, les chômeurs ne sont pas obligés de prendre les emplois proposés. A rebours d’une logique top down, l’emploi est défini localement, en fonction des besoins des chômeurs et des besoins locaux insatisfaits, en concertation avec les diverses parties prenantes que sont les syndicats, les collectivités locales, les habitants, ainsi que le patronat car la garantie d’emploi ne doit pas faire concurrence aux emplois existant dans le public ou le privé. La garantie d’emploi consiste alors à faire financer par l’Etat des emplois répondant à des besoins locaux non satisfaits par les secteurs public et privé, en mobilisant les personnes en situation de chômage et, ce faisant, de résoudre le problème du chômage de masse. 

Sur le plan écologique, il existe deux manières d’envisager l’articulation d’une garantie d’emploi avec une perspective environnementale. Soit on fait confiance aux communautés locales qui vont, d’elles-mêmes, donner un contenu vert à la garantie d’emploi  – on constate ainsi que les besoins qui émergent lors des diverses expérimentations de la garantie d’emploi, en France le programme « Territoire zéro chômeurs longue durée », s’inscrivent très souvent dans une perspective environnementale -, soit l’Etat, lorsqu’il verse les crédits de financement, peut imposer que les emplois créés soient fléchés vers le secteur de la transition écologique. Quelle que soit l’approche retenue, il est certain qu’il existe énormément de travail en la matière, que l’on pense au débroussaillage, au recyclage, à la dépollution, à la mise en place de circuits courts, etc. 

En France, le programme Territoire zéro chômeur longue durée (TZCLD) expérimente une forme de garantie d’emploi. En quoi consiste cette expérimentation et quels en sont les résultats ? Au-delà du programme TZCLD, la garantie d’emploi a-t-elle déjà été mise en place dans l’Histoire ?

Le programme TZCLD a été mis en place depuis 2017 dans une dizaine de zones et concerne environ un millier de personnes. L’expérience est positive car elle permet aux chômeurs de longue durée de retrouver, par le travail, une forme de dignité. Les libéreaux oublient souvent que, si le travail renvoie étymologiquement à la torture – le tripalium était un instrument de torture -, le travail est aussi une source d’épanouissement. Les entretiens menés avec des personnes participants au programme TZCLD illustrent ainsi tout particulièrement cette dimension émancipatrice du travail. TZCLD a finalement montré que pour environ 16 000 euros par an, montant certes insuffisant, similaire au versement des prestations chômages, il est possible de redonner de l’espoir, de sortir de la spirale négative qui découle de la situation de chômage. 

Le programme demeure néanmoins limité. Je pense ici à l’exemple d’un garage tarifé socialement à Lille ; cette activité fonctionnait bien jusqu’à ce que la personne en charge soit embauchée par un grand groupe automobile, ce qui a mis un coup d’arrêt à l’activité du garage. On a vu aussi que le montant des transferts alloués par l’État n’est parfois pas suffisant pour permettre de lancer une activité durable, par exemple payer des locaux, un service de comptabilité, les responsables de l’Entreprise à but d’emploi (EBE), etc. Il serait souhaitable que ces frais soient également pris en charge par l’Etat. 

De manière plus générale, il faut insister sur le fait que la garantie d’emploi n’a rien de nouveau. Le premier pays à avoir mis en place une forme limitée de garantie d’emploi sont les Etats-Unis à la fin du mandat de Hoover, à une échelle réduite, puis, au niveau national, dans le cadre du New Deal de Roosevelt. Le problème dans le cadre du New Deal étant que le salaire versé n’était pas suffisant pour vivre. Il s’agissait donc d’une expérience incomplète. Par ailleurs, aucun droit social n’était alors associé à la garantie d’emploi et les chômeurs ne contribuaient pas vraiment à la définition des tâches qu’ils allaient effectuer. Les économistes américains qui défendent aujourd’hui la garantie d’emploi, Stéphanie Kelton et Pavlina Tcherneva notamment, proposent finalement d’aller au bout de ce qu’avait commencé Roosevelt en proposant une garantie d’emploi payé 15$/h et ouvrant droit à une assurance maladie. 

Plusieurs expériences très concluantes ont également eu lieu en Argentine au début des années 2000. La ville de Marienthal en Autriche, minée par le chômage depuis plusieurs décennies, a mis récemment en place une expérimentation. Une garantie d’emploi partielle existe enfin en Inde, avec un nombre de jours limités, ainsi qu’en Afrique du Sud et en Ethiopie. 

Les défenseurs du NAIRU (Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment) pointent le risque d’un emballement de l’inflation en cas de réduction du chômage en dessous de son niveau « naturel », ce qui permet de justifier un niveau de chômage élevé. A l’inverse, la garantie d’emploi est initialement théorisée par Minsky dans une période de « stagflation » comme un moyen de concilier plein emploi et stabilité des prix. Pensez-vous que l’inflation puisse être une limite à la garantie d’emploi ? 

Tous ceux et celles qui sont venus à l’idée de garantie d’emploi (notamment Eric Tymoigne, Pavlina Tcherneva, tous les tenants de la « théorie monétaire moderne », et moi-même), ont commencé par critiquer l’idée de NAIRU. Ce concept connu depuis les années 1970 n’a jamais pu donner lieu à un travail empirique sérieux. En réalité, les économistes qui travaillent sur le sujet depuis quatre décennies ne sont pas parvenus à en démontrer l’existence, ou alors l’ont fait au prix d’une très faible rigueur méthodologique avec des intervalles de confiance souvent supérieurs à 10%. Les banques centrales elles-mêmes en sont venues à abandonner la recherche de l’estimation de ce fameux NAIRU, qui n’a aucun sens. Le NAIRU pose de nombreux problèmes théoriques et empiriques. Pour faire simple, le NAIRU n’existe pas : on a bien vu que, depuis les années 1980, le NAIRU varie en fonction de la hausse ou de la baisse du chômage. Il semble donc que ce soit le NAIRU qui suive le taux de chômage courant, plutôt que l’inverse, comme le voudrait la théorie du NAIRU. Ce concept est en réalité utilisé pour faire peur à celles et ceux souhaiteraient se réapproprier l’enjeu du plein emploi. Comme l’écrivait JK Galbraith en 1997, « il est temps de jeter le NAIRU ». 

« La vraie question n’est pas celle de l’inflation mais celle de la décision politique : souhaite-t-on retrouver, ou non, une situation de plein emploi ? »

Au-delà du NAIRU, il faut reconnaitre que la garantie d’emploi pourra effectivement avoir un effet inflationniste à court terme, dans la mesure où certains secteurs qui rémunèrent très mal leurs salariés, comme la restauration ou l’hôtellerie, devront revoir leurs salaires à la hausse, ce qui est finalement une bonne chose. Un autre effet inflationniste pourra également découler de l’évolution du rapport de force capital / travail dans une situation de plein emploi, qui pourra déboucher sur des hausses de salaire. Cela ne pose pas de problème dans la mesure où cela fait plusieurs décennies que les salaires ont décroché par rapport aux gains de productivité, dans la plupart des pays : il s’agira d’un juste rattrapage. Par ailleurs, il est nécessaire d’insister sur le caractère multifactoriel de l’inflation. L’augmentation du prix des matières premières est par exemple un facteur qui n’a rien à voir avec le niveau de l’emploi. L’inflation résulte également d’un engorgement des chaines globales de valeur, dans la situation à laquelle nous faisons face dans le cadre de la reprise post-covid, ou d’un taux d’utilisation qui se rapproche 100% dans certains secteurs ce qui implique pour les entrepreneurs d’investir de manière à répondre à l’augmentation de la demande s’ils estiment que cette demande soutenue est durable. La vraie question n’est pas celle de l’inflation mais celle de la décision politique : souhaite-t-on retrouver, ou non, une situation de plein emploi ? 

Que penser du coût du programme pour les finances publiques ? La dette publique est-elle un obstacle à la mise en place de la garantie d’emploi ?  

Il faut tout d’abord se poser la question du coût de la situation actuelle dans la mesure où le chômage coûte en réalité très cher. Il s’agit en effet de la première cause de divorce et de dépression, qui sont des situations très coûteuses pour la société. Le chômage favorise également la criminalité – il existe une corrélation claire entre le taux de chômage et le taux de criminalité – ce qui présente également un coût social élevé. Face à ce constat, on ne peut plus utiliser l’argument de la dette. Tout d’abord, on a bien vu durant la crise covid qu’il n’existe pas d’effet d’éviction de la dépense privé par la dépense publique ; les taux d’intérêts sont restés bas malgré la forte hausse des dépenses des Etats. Les entreprises peuvent donc très bien continuer à emprunter à des taux faibles dans un contexte de hausse de la dépense publique. 

Au-delà de l’argument imaginaire de l’effet d’éviction, il faut insister sur le fait que la dette publique n’est pas un problème pour les Etats. En réalité, une fois qu’une dette publique arrive à échéance, l’Etat peut toujours réemprunter sur les marchés, faire « rouler sa dette ». Le seul risque, celui de l’envol des taux d’intérêts sur les marchés, peut aisément être géré par les banques centrales qui ont tous les outils pour le faire. Par ailleurs la dette publique n’a pas l’effet déflationniste que peut avoir la dette privée, comme le soulignait très justement Hyman Minsky : quand la dette privée est trop élevée, les non-remboursements des ménages et entreprises peuvent nous faire entrer dans une spirale déflationniste, caractérisée par la baisse des prix et les faillites d’entreprises en cascade. Aujourd’hui ce n’est donc pas la dette publique qui est inquiétante mais la dette privée. Il faut arrêter de faire peur avec la dette publique qui est un argument utilisé pour imposer des politiques d’austérité ou encore répéter qu’il n’y aurait pas d’alternative. Par ailleurs, même ceux qui s’alarment, inutilement, du niveau de la dette publique devraient soutenir la garantie d’emploi dans la mesure où ce programme coûte en réalité moins cher que tout ce qui a été fait depuis les années 1980 pour lutter contre le chômage. A titre d’exemple, le CICE coûte plus de 200 000 euros par an par chômeur, contre environ 18 000 euros par an et par chômeur dans le cadre d’une garantie d’emploi.

Il faut également relever que la résorption du chômage par l’augmentation de la dépense publique permet, à terme de réduire la dette publique dès lors que le nombre de personnes s’acquittant d’impôt et de cotisations augmente. A la libération, la dette publique a été résorbée ainsi ; quand Pierre Mendès France s’est alarmé du « problème de la dette publique », le général De Gaulle a répondu que les français avaient assez souffert. L’Etat a ainsi continué à dépenser, permettant la reprise économique, le plein emploi, entraînant une baisse mécanique de la dette publique. 

En réalité, plus que le niveau de la dette publique qui résulterait de la mise en place de la garantie d’emploi, c’est la situation actuelle qui est délirante. Cette situation de chômage de masse permet de faire pression à la baisse sur les salaires et ainsi d’atteindre des taux toujours plus élevés de rémunération du capital : dans les années 1970-1980, on considérait normal de toucher des dividendes de l’ordre de 3% de la valeur ajoutée, alors qu’aujourd’hui le montant des dividendes tourne autour de 17 à 25 %. Le retour au plein emploi, en supprimant « l’armée industrielle de réserve » que constituent les chômeurs, chère à Marx, pourra permettre de revenir à un juste partage de la valeur ajoutée. 

Pourquoi la garantie d’emploi est-elle, pour vous, une mesure plus pertinente qu’un revenu universel ? 

Sur cette question je vous conseille tout d’abord l’ouvrage Faut-il un revenu universel ? coordonné par Jean-Marie Harribey et Christiane Marty. Soutenir le revenu universel (RU), c’est tout d’abord une forme de renoncement à l’objectif de plein emploi. C’est renoncer à l’idée que l’emploi peut être une source d’épanouissement. En outre, le revenu universel coûte beaucoup plus cher qu’une garantie d’emploi. Si on fixe le montant du revenu universel à 700 euros, alors le coût du RU correspond à 25% du PIB français. Face à cela, la garantie d’emploi est bien moins coûteuse, pour un gain social très supérieur dans la mesure où elle permet d’éradiquer le chômage et aux personnes de retrouver une dignité. Le RU revient également à acter la thèse de la « fin du travail », qui est pourtant très contestée. Je trouve en outre absurde de verser une même somme aux milliardaires qu’à une personne en situation de précarité. Dans une logique néo-libérale, enfin, le RU pourrait se substituer, pour un montant inférieur à l’ensemble des aides sociales, et ainsi accompagner la déréliction de l’Etat social. 

Le seul bon argument en faveur d’un RU est que cela réduirait le taux de non-recours qui est à l’heure actuelle très élevé. En effet, beaucoup de personnes qui ont droit au RSA par exemple, n’en font en réalité pas la démarche, faute d’informations ou parce qu’elles se sentent humiliées de demander cela. Il me semble néanmoins que l’Etat pourrait se donner les moyens de réduire ce taux de non-recours sans en passer par cette mesure dangereuse, qui capitule sur la question de l’emploi. 

Comment défendriez-vous la garantie d’emploi face aux tenants du salaire à la qualification personnelle, initialement portée par Bernard Friot ? 

J’insiste tout d’abord sur le fait que le salaire à vie n’est pas comparable au revenu universel. Il s’agit en effet d’étendre la partie socialisée de notre salaire – les cotisations sociales – qui représente aujourd’hui environ 20% du salaire, à l’entièreté de la rémunération, soit une socialisation totale du salaire. Si le salaire à vie, idée séduisante, doit être mené jusqu’au bout, l’ensemble de l’activité productive doit néanmoins être socialisée. Il faut donc pour cela une sortie totale du capitalisme. Or, en tant que keynésien, je ne suis pas persuadé qu’il soit pertinent de retirer toute l’activité productive des mains du privé. Il me parait ainsi par exemple que les petits commerces comme la boulangerie ou les épiceries n’ont pas de raison d’être socialisés, mais d’être sortis de la pression des grands groupes. Pour aller dans le sens de Friot, je suis tout à fait en faveur d’une augmentation des cotisations sociales, tout en gardant, néanmoins, une partie de l’activité productive dans le secteur privé. 

Par ailleurs, si le salaire à vie est un changement radical de société, dans lequel la garantie d’emploi deviendrait obsolète, il s’agit également d’un horizon qui me semble très lointain, tandis que la garantie d’emploi peut être mise en place très rapidement. 

L’Economiste polonais Michal Kalecki dans un article célèbre intitulé « aspects politiques du plein emploi », parle d’une aversion des capitalistes pour le plein emploi. Partagez-vous ce constat ? Comment expliquez-vous aujourd’hui la capitulation des « élites » sur la question du chômage ? 

Cet article de Kalecki est selon moi le meilleur article jamais écrit en économie. Son contenu est très lucide. La question que se pose Kalecki est la suivante : pourquoi les dictatures communiste et nazie ont-elles réussi à imposer le plein emploi alors que les démocraties capitalistes en sont incapables ? Dans l’Allemagne nazie en effet, le ministre de l’Economie, Hjalmar Schacht, qui avait lu Keynes, a mené une politique kéynésienne, mais de droite, consistant à faire travailler les gens dans les usines d’armement, et à la construction d’autoroutes et d’automobiles. Kalecki insiste sur le fait que dans une dictature, il est possible d’imposer l’ordre dans les usines, de fixer les salaires de manière autoritaire, alors que dans une démocratie qui respecte le droit syndical et où le rapport de force capital/travail peut s’exprimer plus ou moins librement, cela n’est pas possible. D’après Kalecki, les capitalistes, qui gagneraient au plein emploi dans la mesure où leurs carnets de commande seraient remplis, préfèrent néanmoins conserver une situation de chômage élevé car cela permet de discipliner la force de travail dans les entreprises et les usines. On a ainsi vu récemment des économistes mainstream comme Pierre Cahuc critiquer le programme TZCLD, car ils ont bien compris qu’une situation de plein emploi entrainerait une redéfinition du rapport de force en faveur du travail et résulterait donc sur une augmentation des salaires. 

« Mettre en place une garantie d’emploi, c’est aussi changer les rapports de force sur le marché du travail en faveur des salariés »

Kalecki a donc entièrement raison. Il est bien moins idéaliste que Keynes, qui pensait qu’il est possible de changer le monde seulement avec les idées, alors que Kalecki a compris l’importance des rapports de force. Mettre en place une garantie d’emploi, c’est aussi changer les rapports de force sur le marché du travail en faveur des salariés. C’est la raison pour laquelle nombre d’économistes marxistes tels que le regretté Michel Husson ou Cédric Durant soutiennent la garantie d’emploi, qu’ils voient comme une étape préalable à une évolution vers un autre type de société. A titre personnel je n’en demande pas autant – je vois plutôt dans la garantie d’emploi un moyen de rééquilibrer le rapport de force, permettant aux salaires de rattraper leur retard sur les gains de productivité, accumulé depuis les années 1980. 

La hausse des salaires qui résultera de la garantie d’emploi pourra nous obliger à dévaluer la monnaie afin de conserver un même niveau de compétitivité. Or, une telle dévaluation est impossible dans le cadre de l’euro. Dès lors, la mise en place de la garantie d’emploi nécessite-t-elle de sortir de l’euro ? Au-delà de la question de l’euro, la garantie d’emploi est-elle compatible avec les règles actuelles des traités européens ? 

La garantie d’emploi n’est pas incompatible avec les traités européens actuels. L’eurodéputé Aurore Lalucq, par exemple, se bat pour la mise en place d’une garantie d’emploi à l’échelle européenne, sans qu’il soit besoin de modifier les traités. Il est toutefois vrai que son esprit n’est absolument pas aligné sur la Stratégie européenne de l’’emploi, d’inspiration néolibérale, développée par l’Union européenne. La garantie d’emploi risquerait en revanche de poser un problème vis-à-vis des critères du Pacte de stabilité et de croissance et du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance – 60% de dette/ PIB, 3% de déficit/ PIB, 0,5 % de déficit structurel. Mais nous avons clairement vu durant la crise du Covid que ces règles peuvent être outrepassées, et heureusement. La garantie d’emploi nous mettra donc sûrement en porte à faux vis-à-vis de ces règles, ce qui est une bonne chose car il grand temps de les abandonner.  

La monnaie unique a été une erreur car cela revient à s’interdire la possibilité d’une dévaluation de la monnaie, qui ne laisse alors la place qu’aux dévaluations internes, c’est-à-dire la pression à la baisse des salaires et des droits sociaux. Faut-il donc sortir de l’euro pour mettre en place une garantie d’emploi ? Je ne le crois pas. Le problème me semble d’avantage se trouver du côté de la politique européenne de la concurrence, qui nous interdit de mener de véritables politiques industrielles. La priorité à l’heure actuelle devrait être d’œuvrer à la mise en place d’une authentique politique industrielle, axée sur la transition écologique, qui se traduirait par le financement massif de certains secteurs prioritaires. Or, de tels financements directs vont à l’encontre de la politique européenne de la concurrence. On peut donc mettre en place une garantie d’emploi sans sortir de l’euro, mais cela impliquera effectivement de désobéir à un certain nombre de règles – critères de convergence, politique de la concurrence – qu’il faudra de toute manière abandonner tôt ou tard.

Basile Clerc

Pour aller plus loin : 

Collombat Benoit, Cuvillier Damien, Le choix du chômage : de Pompidou à Macron, enquête sur les racines de la violence économique, Futuropolis, 2021 (bande dessinée) 

Tcherneva, Pavlina R. La garantie d’emploi. L’arme sociale du Green New Deal. La Découverte, 2021

Lang, Dany. « Pourquoi tant de chômage ? (Et comment s’en débarrasser) », Fondation Copernic éd., Manuel indocile de sciences sociales. Pour des savoirs résistants. La Découverte, 2019, pp. 83-97.

Lavoie, Marc. « État social, employeur de dernier recours et théorie postkeynésienne », Revue Française de Socio-Économie, vol. 3, no. 1, 2009, pp. 55-75.

Mitchell, William F. “The Buffer Stock Employment Model and the NAIRU: The Path to Full Employment.” Journal of Economic Issues, vol. 32, no. 2, Association for Evolutionary Economics, 1998, pp. 547–55, 

Wray, Randall, « the employer of last resort programme : could it work for devloping countries ? », Economic and Labour Market Papers International, Labour Office, Geneva, août 2007

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