
Pionniers de la théorie de l’agence, Jensen et Meckling ont mis en avant les difficultés rencontrées par les agents économiques lorsqu’ils font face à une asymétrie d’information, dès 1976. Cette théorie émane de la théorie des contrats, qui perçoit l’entreprise comme un réseau de contrats entre individus. Dès lors, toute relation contractuelle est une relation d’agence, et donc une relation de dépendance. Il s’agit d’analyser les schémas de contrôle et de délégation entre les agents économiques, que l’on peut voir dans tout type de relation contractuelle, et donc au sein de toute entreprise. C’est alors un enjeu clé dans l’activité du conseil, qui engendre des contrats entre clients, cabinets et consultants ; d’autant plus lors de cette crise économique induite par la pandémie : pallier ce problème peut aider les cabinets de conseil à exister dans ce milieu ‘ultra-concurrentiel’ et fortement affecté par la crise.
Mandants et mandataires : la relation client – consultant
Ce principe est directement retrouvé dans l’activité du cabinet de conseil, dans laquelle un contrat est conclu entre le principal et l’agent. Nous verrons donc ici le client en tant que principal, et le consultant en tant qu’agent, où donc l’action du principal dépend de celle de l’agent. Le cabinet de conseil joue ici le rôle d’intermédiaire : il est au coeur du contrat et en négocie les termes, et met en relation directe ces deux acteurs.
Cependant, l’un ou l’autre ne connait pas tous les paramètres de l’action de l’autre acteur, ce qui donne lieu à une asymétrie d’information. Le risque central est donc le problème d’agence, à savoir le risque que l’agent n’agisse pas – ou pas complètement – dans l’intérêt du principal. Le consultant effectue en effet la tache pour le compte du client. Ce dernier dépend de l’expertise du consultant, qui est essentielle pour la réalisation de son projet. A noter que cette expertise est garantie par le cabinet, qui propose les services de son employé en mettant en avant ses compétences, après généralement une série de tests et d’interviews. Cette dépendance du client représente un risque moral, qui n’est pas partagé par les deux acteurs. Ils n’ont donc pas la même exposition au risque. C’est ici qu’apparait le dilemme de l’aléa moral. L’agent augmente l’exposition au risque du principal, de manière non-réciproque. Cela se traduit notamment par l’impossibilité de contrôler totalement le travail de l’agent, et le principal ne peut donc pas s’assurer que ce dernier poursuive vraiment ses intérêts. C’est dans cette perspective que l’agent peut tirer profit de son avantage, soit de ses compétences, de son expertise, dans le but d’augmenter son bénéfice personnel. Concrètement, cela peut se traduire par un consultant qui ne respecte pas les délais de sa mission assurant qu’il lui faut plus de temps, ou un consultant qui augmente ses exigences auprès du client, les faisant passer pour nécessaires à sa réussite.
Le cabinet de conseil au cœur du problème d’agence
De cette théorie de l’agence ressort plusieurs problématiques. On peut se demander si les cabinets de conseil sont essentiels, s’ils peuvent être caractérisés d’optionnels ou même de « jetables ». Ce ne sont pas des filets de sécurité, et la mission peut échouer. Néanmoins, le cabinet de conseil est tout de même une garantie supplémentaire d’y trouver l’expertise recherchée par le client. De plus, les consultants ne font que prêter leurs idées et leurs compétences. Les clients accueillent les consultants pour cette expertise qui leur est propre, et aussi pour leur point de vue, l’avis extérieur qu’ils peuvent apporter. En revanche, ils peuvent aussi emporter un savoir-faire et une méthode de travail, acquis lors des missions chez le client. De ce fait, le consultant hybride ses compétences avec le savoir-faire acquis chez le client, ce qui donne lieu à une compétition entre les clients : chacun apporte des connaissances à son consultant. Il est plus confortable pour le client de recevoir ce que le consultant peut lui apporter, plutôt que de lui donner des clés qui favoriseront sa réussite chez un autre client par la suite.
Cela rejoint un autre problème : la préférence entre le court terme et le long terme, concernant la satisfaction client. Les cabinets ne peuvent pas dépendre d’un seul client pour leur activité de conseil. Il s’agira d’avoir de multiples clients dans différents domaines pour réduire les risques de faillite. Le chercheur en innovations technologiques Lassi A Liikkanen donne l’exemple du marché de la téléphonie finlandais avec les cabinets de conseil en technologie et en marketing, qui dépendaient en grande partie de leur client Nokia. Après le déclin de Nokia, les cabinets qui n’ont pas su trouver de nouveaux marchés, de nouveaux prospects, ont coulé. Les risques doivent être répartis. Et quelque soit la taille et la position du client, chaque client reste exposé de la même façon aux problèmes du principal-agent et à l’aléa moral.
Répondre aux enjeux de la théorie de l’agence
Les problèmes engendrés par l’application de la théorie de l’agence sont inhérents à l’activité du conseil, mais les risques peuvent être réduits. Si ces problèmes sont inévitables, ils n’en restent pas moins gérables. Un management efficient consiste donc à connaître les risques encourus et à les évaluer afin de les traiter. On commence alors par évaluer le besoin, savoir si le principal a vraiment besoin de l’agent pour son activité et dans quelle mesure. C’est pour cela qu’est généralement établie une analyse coûts/bénéfices. Dans un second temps, on définit le cadre d’action de l’agent et ses responsabilités, par rapport à ceux du principal : si le cahier des charges est clair, l’ambiguïté, qui pourrait être un avantage pour l’agent, est réduite. Il est aussi primordial que le principal considère le transfert de connaissances comme un objectif. On réduit de cette façon l’asymétrie d’information. L’agent apprend du principal et vice-versa. Par la suite, on se fixe pour but de tenter d’aligner les intérêts du principal ainsi que ceux de l’agent. Cela peut se traduire par un système de bonus ou d’augmentation de salaire. A titre d’exemple, Apple Corporation, en 2013, a vu un déclin de la valeur nominale de ses actions. Pour pallier ce problème, l’entreprise a voulu aligner les intérêts des exécutifs avec ceux des actionnaires, en demandant aux managers d’accroître les actions qu’ils possédaient. Ainsi, les managers doivent faire face aux mêmes enjeux que les actionnaires. L’entreprise s’est penchée sur le problème du principal-agent, et a finalement réussi à impliquer d’une façon croissante les managers (les agents) par rapport aux actionnaires (les principaux), puisqu’en quelques sortes, les actionnaires sous-traitent les responsabilités et les activités aux managers. D’une façon générale, il peut aussi s’agir d’offrir un bonus basé sur la performance de l’agent, ou sur la réduction des coûts. On transfère ici une partie du risque subi par le principal à l’agent, réduisant l’asymétrie d’information, et l’aléa moral. De la même façon, l’audit de performance est un moyen de s’occuper du problème du principal-agent. Le travail de l’agent est contrôlé pendant et après la durée de son contrat, de sorte à ce qu’il agisse de la façon souhaitée par le principal.
Sur un marché dominé par les Big Four, il est essentiel pour un cabinet de conseil de trouver sa place sur le long terme, et d’autant plus en considérant le contexte de crise de la Covid-19 qui a été vectrice de transformations et d’accroissement de la concurrence. La littérature économique nous offre alors des clés de compréhension et de réussite, afin de s’établir sur ce marché changeant où beaucoup d’acteurs se rencontrent. Adaptabilité : voilà ce qui permettra à un cabinet de répondre aux problématiques économiques, ici le problème du principal-agent.
Romane Lozé