
En avril dernier, le leader de l’écoute de la musique en ligne Spotify annonçait avec fierté avoir dépassé la barre symbolique des 100 millions d’abonnés. Cependant, depuis sa création en 2008, le géant suédois n’a jamais réussi à dégager un bénéfice net.
Devant supporter des coûts fixes élevés, le modèle économique des services de streaming musical repose sur la conquête de nouveaux abonnés, permettant de faire baisser le coût unitaire d’un titre, et ainsi de réaliser des économies d’échelle.
Vendre plus pour payer moins
Le concept d’économie d’échelle est un des principes fondamentaux de l’économie. En augmentant le volume de sa production, une entreprise peut répartir ses coûts fixes, c’est-à-dire les coûts supportés quelque soit le niveau de l’activité, sur davantage de produits.
Les services de streaming musical font face à d’importants coûts fixes. Y sont compris la gestion des catalogues et la distribution des titres certes, mais également tous les investissements induits par la dématérialisation de la musique : construction et entretien des plateformes, dépenses marketing afin d’attirer les utilisateurs vers les abonnements payants… Le nombre d’abonnés n’a aucune influence sur le montant de ces coûts fixes, qui restent les mêmes, que la plateforme ait 1000 ou 1 million d’abonnés !
C’est là que les choses deviennent intéressantes. Car une fois ces dépenses honorées, il s’avère qu’obtenir un abonné payant supplémentaire pour ces plateformes de streaming ne coûte pas grand chose : elles n’ont pas à embaucher drastiquement en cas d’augmentation de leur nombre d’abonnés, n’ont pas à ouvrir de nouveaux magasins physiques, n’ont pas à investir dans des nouveaux sites de production… Ainsi, obtenir un abonné supplémentaire permet de répartir toutes les charges fixes sur chacun des abonnés. En d’autres termes, le coût unitaire diminue pour ces plateformes lorsque le nombre d’abonnés augmente, leur permettant ainsi de réaliser d’importantes économies d’échelle.

Les données, nouveau carburant de l’industrie musicale
Ces économies d’échelle sont particulièrement présentes dans l’économie du numérique. Pour reprendre l’analyse de Daniel Cohen, c’est bien la première unité d’un bien qui coûte cher à produire dans l’économie du numérique. Concevoir un logiciel coûte cher, mais après cela, en produire 10 millions ne coûte presque plus rien !
Cependant, afin d’obtenir ces économies d’échelle, les entreprises doivent augmenter fortement leur impact sur les consommateurs : on ne parle plus ici de ventes physique, le chiffre d’affaire dépend avant tout du nombre de clics, convertis par la suite en abonnés effectifs. Les données et les algorithmes jouent un rôle essentiel afin de comprendre le comportement des utilisateurs, augmenter leur satisfaction, proposer à chacun une solution “sur-mesure” et ainsi permettre aux plateformes de positionner leur offre. On pourrait reprendre les mots de l’ironique Daniel Cohen :
« Pour trouver du rendement, la société digitale exige de chacun qu’il entre, comme un suppositoire, dans le grand corps cybernétique, pour devenir une information qui puisse être traitée par une autre information. »
Daniel Cohen
“Vous êtes ce que vous streamez” affirme ainsi Spotify, qui propose des playlists variées, de la très classique “Hits du Moment” à la plus insolite “Sous la douche”, chansons que l’on est censé écouter le samedi soir, en se préparant avant de sortir.
C’est là tout le paradoxe soulevé par François Lévêque dans Les Habits neufs de la concurrence : les entreprises recherchent aujourd’hui la standardisation pour réaliser des économies d’échelle mais ont en même temps l’obligation de différencier leurs produits afin de faire face à une concurrence féroce. C’est bien la signification à donner à la guerre déclarée entre les différentes plateformes de streaming, qui s’efforcent de se différencier par un catalogue toujours plus fourni et des playlists toujours plus personnalisées afin de gagner ces précieux abonnés supplémentaires, promesse de rentabilité.

Les plateformes de streaming musical ont donc réussi à imposer un nouveau modèle de consommation reposant sur les économies d’échelle, le modèle du “buffet à volonté”. Ainsi, en échange de pouvoir consommer de manière illimitée de la musique et de bénéficier des prouesses techniques des plateformes menant à une consommation toujours plus personnalisée, les données des utilisateurs sont analysées afin de permettre à ces plateformes de croître. Comme dans tous les secteurs digitalisés aujourd’hui, la protection de ces données est un enjeu fort à venir, tant au niveau de la sécurité certes mais aussi d’un point de vue artistique : si tout le monde venait à écouter la même musique sous la douche, il n’y aurait pas simplement standardisation du processus de production, mais aussi une uniformisation de l’écoute de la musique.
Bastien Antoine
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